Politique

Menaces, tags, exfiltration : comment la campagne est devenue irrespirable à gauche

POLITIQUE – Larmes à gauche. Deux ans après les élections législatives qui ont vu naître la Nupes, cette coalition (EELV – PCF – LFI – PS) aussi surprenante qu’attendue par les militants, les forces de gauche viennent de mener une campagne européenne étouffante, propre à désespérer les tenants de l’union, comme ceux qui veulent croire à une victoire en 2027.

L’époque ou les insoumis essayaient de convaincre leurs partenaires de faire une liste commune derrière les écologistes parait désormais très loin. L’éventualité a fait long feu, et les différentes chapelles ont passé le plus clair de leur temps à essayer de siphonner l’électorat du voisin pour gonfler son score au soir du 9 juin.

Résultat : une compétition brutale, des arguments acrimonieux, parfois en dessous de la ceinture, et un climat, in fine, plus délétère que jamais entre menaces et affiches taguées. Retour sur une campagne qui aura tourné au pugilat en un peu plus de trois mois.

Quand Gaza exacerbe les tensions

Deux ans après la Nupes, l’heure est donc au retour des « gauches irréconciliables », un concept théorisé en son temps par Manuel Vallas que, pourtant, chacun récuse. Le casting, cette fois-ci, oppose Raphaël Glucksmann d’un côté, le troisième homme du scrutin, chantre d’une sociale démocratie rénovée et expurgée des insoumis. Et, de l’autre, les mélenchonistes, prompts à pilonner le représentant du parti socialiste (avec assiduité depuis son entrée en campagne), en le caricaturant sous les traits d’un nouveau François Hollande, en reproduisant le schéma appliqué en 2019 à l’endroit de l’écologiste Yannick Jadot.

Une fois n’est pas coutume, ce sont les enjeux internationaux qui ont exacerbé les tensions. Et, plus particulièrement, la guerre à Gaza, sujet ultrasensible s’il en est. En résumé, Manon Aubry et les insoumis ont accusé Raphaël Glucksmann de ne pas être assez allant dans le soutien aux Palestiniens en refusant par exemple de reprendre à son compte le terme de « génocide. » En retour, certains socialistes ne se sont pas fait prier pour dénoncer le discours antisémite, à leurs yeux, de la formation de gauche radicale.

Plusieurs épisodes de la campagne sont en ce sens marquants et illustratifs de ce vif regain de tension. Le 1er mai, tout d’abord : le candidat des socialistes a été expurgé du cortège de la fête des travailleurs à Saint-Etienne, au cri de « à bas le parti socialo » ou encore « Glucksmann casse-toi, Sainté n’est pas à toi ». Il s’est alors empressé de condamner la violence des insoumis devant les caméras ou sur les réseaux sociaux, bien que l’action ait été revendiquée principalement par les Jeunesses communistes de la Loire. Forts de cette revendication, les cadres insoumis hurlent à la « fake news » et réclament des excuses. Or, entre temps, un militant insoumis local a aussi revendiqué l’initiative. Comme si aucun schéma binaire ne pouvait s’appliquer.

Violence politique

Ces derniers jours, ce sont plusieurs élus LFI qui accusent deux partisans de Raphaël Glucksmann de les avoir importunés en terrasse début juin, toujours sur le sujet de la guerre au Proche-Orient, après avoir essayé de perturber plusieurs de leurs réunions publiques. Certains insoumis ont même porté plainte contre le collectif dont ils se revendiquent. Encore une fois, la réalité est plus nuancée. Le collectif en question a nié tout soutien au candidat socialiste, annonçant par ailleurs participer aux réunions publiques de Renaissance ou des Républiains. Là encore, le récit de campagne ne s’embarasse pas des faits.

Entre-temps les controverses se sont multipliées. Et la violence politique s’est semble-t-il décuplée. Rima Hassan, la candidate la plus en vue sur la liste des insoumis pour son soutien à la cause palestinienne publie tous les jours ou presque les menaces de mort ou de viols qu’elle reçoit par messages. Raphaël Glucksmann, lui, a montré sur Twitter les souillures antisémites sur ses affiches de campagne, barrées de croix gammées ou d’inscription « Israël » et « sioniste. »

Des méfaits immédiatement attribués à l’extrême droite par Manon Aubry, qui a apporté son soutien à son adversaire de gauche. Signe de cette tension durable malgré tout (Rima Hassan n’hésite pas à parler de « gauche coloniale » pour qualifier le PS), l’équipe de Raphaël Glucksmann profite des dernières heures de campagne pour diffuser à la presse les votes de l’eurodéputé en faveur de Gaza et ses prises de position en faveur de la reconnaissance de l’État palestinien. Objectif : essayer de tordre le cou au procès en insensibilité que lui intentent les mélenchonistes. Un procès qui, selon son entourage, se répercute sur la toile. Raphaël Glucksmann est le seul responsable politique français épinglé par le compte Instagram Blockout 2024 France affichant « les célébrités silencieuses sur le génocide à Gaza ». Et ce, malgré sa condamnation sans détour du régime de Benyamin Netanyahou.

En creux : l’après-9 juin

Dans ce contexte un brin étouffant, difficile de ne pas voir en filigrane la lutte pour l’après 9 juin. Car au-delà du Parlement européen et d’une recomposition sur la scène continentale, ce scrutin peut être de nature à transformer le paysage à gauche et déplacer le barycentre de ce camp pour 2027. En clair, de marginaliser les insoumis tendance mélenchoniste qui sont au centre du jeu depuis la dernière présidentielle, en cas de bon score pour Raphaël Glucksmann.

Alors les plans se multiplient sur la comète. Fort de sondages positifs, le chef de file de la liste PS a déjà prévenu qu’il serait le « garant » de la ligne « tranchée » après le vote, et qu’aucun « retour en arrière » ne sera possible. L’état-major socialiste lui estime qu’un bon résultat lui donnera l’élan pour devenir la force motrice, et donc principale pour les années à venir.

En retour, les insoumis parlent de différences « irrémédiables » avec l’orientation de Raphaël Glucksmann et laissent entendre qu’ils refuseront de pactiser avec un parti socialiste revigoré. « On a fait la NUPES. Ils sont censés avoir appris la leçon (de la présidentielle et des législatives, ndlr) », pestait, par exemple, Louis Boyard au HuffPost fin mai, avant d’ajouter, comme dépité : « et ils reviennent avec le fantôme du Hollandisme. » Ce climat, vicié, est donc parti pour durer.

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