Politique

La percée annoncée de l’extrême droite aux européennes, une menace pour les droits humains dans l’UE ?

ÉLÉCTIONS EUROPÉENNES – Plus que quelques heures avant les élections européennes, le deuxième plus grand scrutin au monde après les législatives en Inde, avec quelque 360 millions d’électrices et électeurs appelés aux urnes dans les 27 pays membres de l’UE. En France, voilà plusieurs semaines que le camp macroniste alerte sur le danger que représentent les forces d’extrême droite pour l’UE, alors que le RN de Jordan Bardella est donné victorieux dans les sondages en France.

Et il n’est pas le seul : les formations nationalistes, eurosceptiques et d’extrême droite sont données en progression dans les sondages dans beaucoup de pays, comme en Autriche, aux Pays-Bas, en Belgique ou en Italie. Elles sont deuxièmes ou troisième en Espagne ou au Portugal. Selon différentes estimations, elles pourraient récupérer 25 % des sièges (contre 20 % actuellement) au Parlement européen.

Pour Elena Crespi, responsable du bureau Europe de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), interrogée par Le HuffPost, le scénario qui se dessine est « inquiétant », notamment en matière de droits humains et d’avancées sociétales. « D’après nos analyses du contexte social dans l’UE, les progressistes perdent du terrain et on est à peu près certain qu’il va y avoir une virée vers l’extrême droite, avec des groupes qui sont bien partis pour remporter un grand nombre de votes et donc plus de sièges au Parlement qu’actuellement », explique Elena Crespi.

La crainte d’une « érosion des libertés »

Selon elle, cette modification des équilibres dans l’hémicycle bruxellois pourrait avoir un « impact conséquent » sur les politiques européennes, avec « un potentiel pour l’extrême droite d’influencer, voire de déterminer la direction du bloc européen dans les prochaines cinq années ». Ceci dans une approche de plus en plus restrictive et conservatrice sur les questions de société.

Auprès du HuffPost, elle évoque ainsi les domaines qui risquent le plus d’en subir les conséquences, notamment « tout ce qui a un lien avec la défense des droits humains et des libertés, mais aussi de l’État de droit ». « Cela pourra toucher la défense des valeurs fondatrices de l’UE, la défense de la démocratie face à la dérive autoritaire », poursuit-elle.

Elena Crespi craint également une « érosion des libertés » que l’on peut « déjà observer dans les pays où les partis d’extrême droite ont gagné différents scrutins ces dernières années ». Notamment les droits des femmes, les droits sexuels et reproductifs – dont l’IVG, encore illégale dans certains pays de l’UE –, les droits des minorités… « Autant de droits qui ne correspondent pas à la vision conservatrice, traditionnelle et hétéro normative promue par les partis d’extrême droite », souligne notre interlocutrice.

L’extrême droite pas majoritaire, mais des tensions à prévoir

Une crainte que relativise Jean-Yves Camus, politologue et co-directeur de l’Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean-Jaurès. Auprès du HuffPost, il évoque plutôt une « question de force de nuisance » dans le cas d’une percée de l’extrême droite à l’issue du scrutin.

Selon lui, « sauf coup de tonnerre », on observera dimanche soir une « montée en puissance très évidente des droites radicales et extrêmes » mais, en même temps, le Parlement « restera majoritairement aux mains des deux groupes de gauche – Groupe de la Gauche et Socialistes et démocrates –, des libéraux et des conservateurs du Parti populaire européen », nous explique-t-il. « Les groupes Identité et démocratie [ou siège le RN] et le groupe des Conservateurs et réformistes européens [Reconquête] ne seront pas majoritaires ».

Il prévoit certes des « tensions », mais principalement sur l’immigration et la politique étrangère, avec le soutien à l’Ukraine. Mais aussi sur le Pacte Vert pour l’Europe (le « Green Deal »). « Les partis de droite radicale et d’extrême droite pourraient demander une Europe qui édicte moins de normes environnementales, qui soit un peu plus laxiste sur ces questions », explique Jean-Yves Camus.

Des concessions qui pourraient être faites si Ursula Von der Leyen, candidate du PPE qui brigue un second mandat à la tête de la Commission européenne, allait chercher du côté du groupe nationaliste de Conservateurs et Réformistes européens les quelques voix qui risque de lui manquer pour rempiler pour cinq ans de plus.

Ne « pas sombrer dans l’alarmisme »

Quant à une crainte de voir un recul des libertés, le politologue rappelle que « ce sont les peuples qui décident » et que la loi est principalement votée dans les parlements nationaux. « Pour qu’il y ait un souci avec les valeurs fondamentales, il faudrait que le RN gagne les élections législatives. Et même s’il les gagnait, il n’a pas le Sénat et ne l’aura jamais », souligne-t-il.

Le spécialiste tempère encore : « Il ne faut pas sombrer dans l’alarmisme qui consiste à dire : “ces forces politiques vont demain être plus nombreuses au Parlement européen, les libertés que nous avons actuellement en France vont céder”. » Le politologue précise tout de même que « cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas réagir ».

De son côté, Elena Crespi de la FIDH estime que, bien que ces élections se déroulent au niveau européen, l’issue du scrutin aura un impact réel sur la vie des citoyens des pays membres. Et même si l’extrême droite n’avait pas les forces pour bouleverser notre quotidien, « ces groupes en auront pour empêcher toute évolution positive que les progressistes voudraient apporter ».

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