Piégé par le RN, Emmanuel Macron contraint de jouer avec le feu
POLITIQUE – Dans une bataille électorale, certains principes sont impondérables. Parmi eux : la mauvaise idée consistant à jouer sur le terrain de l’adversaire. Les résultats de ces élections européennes, portant le Rassemblement national au-dessus des 30 %, et la décision qui a suivi, la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, confirment de manière éclatante ce postulat.
Car si le président de la République a expliqué qu’il ne pouvait rester sourd à la percée de l’extrême droite qui, en comptant Reconquête !, atteint quasiment 40 % des suffrages exprimés, force est de constater que le chef de l’État est tombé dans le piège tendu par Marine Le Pen et Jordan Bardella qui ont nationalisé ces élections à outrance, au détriment des réels enjeux européens. Depuis le mois de septembre, le RN définissait ce scrutin comme « la seule élection de mi-mandat », réduit dans la bouche des huiles frontistes comme un « référendum anti-Macron ».
La Macronie sur la défensive
Face à cette nationalisation des enjeux, le camp présidentiel aurait pu choisir son propre terrain. Mais après une révolte agricole qui l’a placée sur la défensive, la Macronie a finalement cédé à la tentation d’aller boxer le RN sur son terrain. Même la nomination de Gabriel Attal à Matignon au mois de janvier, présentée par des conseillers bavards comme « une arme anti-Bardella », témoignait de cette envie d’en découdre face au RN. Les semaines qui ont suivi n’ont fait que confirmer cette tendance. Avec, comme point d’orgue, le débat (finalement sans effet) entre Gabriel Attal et Jordan Bardella et les appels du pied, un brin insistants, du chef de l’État à croiser le fer face à Marine Le Pen en amont du scrutin.
« Quand on est président de la République et qu’on est censé être au-dessus des partis, soit on rentre dans le débat partisan, soit on n’y entre pas. Mais si on y rentre, alors à ce moment-là, il faut en tirer les conséquences si on perd les élections », répliquait la cheffe de file du RN, en éconduisant Emmanuel Macron dans sa proposition de débat. La Macronie analysait cette position comme une énième fuite de la députée du Pas-de-Calais. C’était en réalité un piège qui se refermait. Car, effectivement, de quel autre choix disposait le chef de l’État après s’être tant impliqué, y compris en prime time dans les dernières 48 heures, que d’abattre l’ultime carte qu’il lui reste après le crash de sa candidate, affichant la moitié du score de Bardella ?
Dans l’entourage d’Emmanuel Macron, on assure que tout ceci n’est pas précipité, et que cette décision résulte d’une réflexion sur le temps long. Même si, le 4 mai, il expliquait à La Tribune dimanche que la conclusion du scrutin serait « d’abord européenne », et non nationale. À l’appui, une interview donnée au Point en août 2023, dans laquelle Emmanuel Macron évoquait une « initiative politique » vague, sans s’épancher précisément sur le scénario d’une dissolution, bien que l’épisode de la réforme des retraites avait jeté une lumière crue sur les limites d’une majorité relative (qui plus est divisée sur une quantité de sujets). Ce que la loi immigration n’avait fait que confirmer.
« Le président prend ses responsabilités »
Après son allocution, sa garde rapprochée vante une décision « fidèle à l’ADN du macronisme » qui relève « de l’audace, du dépassement et de la prise de risque ». Prise de risque. C’est le cas de le dire, avec une extrême droite qui recueille 40 % des suffrages. Pas pour le camp présidentiel qui, préférant voir les 60 % des Français qui n’ont pas choisi le RN ou Reconquête, assure qu’Emmanuel Macron ne se place pas une seconde dans l’hypothèse de gouverner avec Jordan Bardella ou Marine Le Pen le soir du 7 juillet. Détail qui a son importance, les élections législatives auront lieu dans trois semaines (premier tour le 30 juin), soit le délai le plus court que permet l’article 12 de la Constitution. Ce qui, sur le papier, pourrait compliquer les velléités d’union à gauche.
Reste qu’un sondage secret commandé par Les Républicains au mois de décembre anticipait une moyenne de 278 députés pour le groupe présidé par Marine Le Pen, contre 88 aujourd’hui. Le camp présidentiel perdrait, selon cette même étude, quasiment la moitié de ses sièges, avec une moyenne de 135 députés contre 246 élus en 2022. Et nous étions avant la crise agricole et la dynamique engrangée par Jordan Bardella durant la campagne…
« Des élections législatives, ce sont 577 campagnes », démine en avance l’entourage du Président de la République, qui assure que cette dissolution « s’inscrit dans la logique de la Ve République », en s’en remettant aux électeurs pour dénouer une « crise démocratique » que personne n’ose encore mentionner à haute voix en Macronie. « Le président de la République prend ses responsabilités. Ça n’arrive pas souvent dans l’histoire de notre pays. Il prend ses responsabilités et il dit aux Français : je vous donne le choix pour l’avenir », a commenté François Bayrou, saluant une « décision courageuse » qui pourrait « sortir le pays du marasme ». Elle pourrait aussi l’y enfoncer plus profondément.
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