En sommant (sans le dire) le NFP de se dissoudre, Macron aggrave la crise politique
POLITIQUE – Il existe un jeu dans lequel ceux qui perdent ont le droit de choisir les gagnants. Emmanuel Macron y joue depuis les résultats des élections législatives anticipées. En refusant officiellement ce lundi 26 août de nommer Lucie Castets à Matignon, et donc en retirant au Nouveau Front populaire toute légitimité à prendre l’initiative pour former un gouvernement, le chef de l’État semble disposé à y jouer encore un peu, alors que cela fait désormais près de 50 jours que le pays n’a pas de Premier ministre de plein exercice.
Dans un communiqué envoyé dans la soirée, le locataire de l’Élysée justifie ce choix au nom de « la stabilité institutionnelle ». Une notion totalement absente de l’article 5 de la Constitution, relatif au « fonctionnement régulier des pouvoirs publics » et à « la continuité de l’État ». Car, selon lui, « un gouvernement sur la base du seul programme et des seuls partis proposés par l’alliance regroupant le plus de députés, le Nouveau Front Populaire, serait immédiatement censuré par l’ensemble des autres groupes représentés à l’Assemblée nationale ».
Et ce, qu’importe si la candidate de la coalition de gauche explique justement faire du programme du Nouveau Front populaire un objectif et une base de travail pour essayer de bâtir des coalitions de projets, et non une fin non négociable. « Je me tiens prête à construire ces coalitions », assurait-elle encore vendredi au sortir de l’Élysée.
Faire exploser le NFP
Des garanties insuffisantes pour Emmanuel Macron, qui préfère regarder du côté de son propre camp, constatant que les groupes centristes « se sont montrés ouverts à soutenir un gouvernement dirigé par une personnalité qui ne serait pas issue de leurs rangs », comme s’il pouvait en être autrement après des élections législatives perdues. Conscient néanmoins que la principale marge de manœuvre se trouve à gauche, le chef de l’État persiste dans sa stratégie (pour l’instant stérile) consistant à tenter de faire exploser le NFP.
« Le Parti socialiste, les écologistes et les communistes n’ont à ce stade pas proposé de chemins pour coopérer avec les autres forces politiques. Il leur appartient désormais de le faire », écrit Emmanuel Macron, demandant à ces trois partis de rompre avec La France insoumise, et donc, d’enterrer la coalition de gauche née du péril de voir arriver l’extrême droite au pouvoir après une dissolution décidée par ses soins. L’opération apparaît particulièrement risquée. Car s’il est vrai qu’une partie du PS s’avère tiraillée concernant l’alliance avec LFI, au point que le sujet sera ce mardi 27 août à l’ordre du jour d’un bureau national demandé « en urgence » par les courants socialistes hostiles à la stratégie d’Olivier Faure, rien n’indique que les roses pourraient soudainement lâcher la coalition.
« Au contraire, ce genre de communiqué absolument lunaire peut avoir l’effet inverse et rassembler tout le monde », anticipait dans la soirée un cadre socialiste joint par Le HuffPost. Et ce n’est pas ce tweet dénonçant la « manipulation » du chef de l’État, signé par l’eurodéputé PS François Kalfon, social-démocrate hostile à l’alliance avec LFI, qui lui donnera tort. D’autant qu’il ne suffit pas d’arracher l’aile droite du PS pour faire une majorité « large et stable » à l’Assemblée nationale, puisque les autres formations du NFP citées par le président refusent catégoriquement de lâcher leurs partenaires. Appelant à une « grande mobilisation populaire » contre le chef de l’État, le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, a décliné l’invitation. Même position exprimée par la cheffe des Verts, Marine Tondelier, qui qualifie de « honte » le communiqué envoyé par Emmanuel Macron.
« Du Trump en propre »
Dès lors, la position du président de la République interroge. Puisqu’au-delà du vœu de faire sauter le verrou de la gauche, elle semble ignorer une cruelle réalité sortie des urnes : deux députés sur trois ont été élus avec des projets hostiles à sa politique. Ce faisant, la majorité qu’il semble appeler de ses vœux, qui irait de LR à une partie de la gauche dite « républicaine » (arrimant des socialistes, écologistes ou communistes), et qui aurait l’heureux avantage de placer son propre camp au centre du jeu, ne serait pas forcément plus stable, ni plus large. Et pour cause : même Gérald Darmanin a prédit une motion de censure en cas de gouvernement comprenant des écologistes.
« Son argument central, c’est de dire qu’il y aurait à l’Assemblée plus de 350 députés qui censuraient le NFP. Or, ce n’est pas à lui de préjuger ce que voteraient ces élus, ni de susciter une coalition gouvernementale. D’autant qu’il n’y a en réalité aucune majorité qui pourrait durablement tenir », observe pour Le HuffPost le politologue Mathieu Souquière, expert associé à La Fondation Jean-Jaurès, qui estime que le chef de l’État aurait dû faire la démonstration, en la nommant, que Lucie Castets n’avait pas de majorité pour gouverner.
Raison pour laquelle ce spécialiste juge le communiqué présidentiel « inquiétant » et « problématique sur le plan démocratique », favorisant les conditions d’un « pourrissement » entretenu par les oppositions jusqu’en 2027. « En donnant l’impression de ne pas reconnaître le verdict des urnes, il fait du Trump en propre. Tout cela jette de l’huile sur le feu et aggrave la crise démocratique », poursuit Mathieu Souquière, qui voit dans cette situation « un cumul du pire de la Ve République, avec une verticalité extrême, et du pire de la IVe, avec les batailles de partis ».
Signe de cette aggravation de la situation, plusieurs responsables du Nouveau Front populaire ont appelé à descendre dans la rue, quand l’état-major de La France insoumise appelle à la destitution du chef de l’État. Et il n’y a pas qu’au sein du NFP que sa décision provoque des remous. Sur X, Agnès Pannier-Runacher, députée Renaissance du Pas-de-Calais (et ministre déléguée à l’Agriculture démissionnaire) a retweeté le message du diplomate Gérard Araud, selon lequel « il n’appartient pas au président de la République de constituer une majorité parlementaire ». Avant que son entourage nous assure qu’il s’agit de « l’erreur » d’un collaborateur et supprime ce partage de son compte. Sondé par Le HuffPost, un représentant de l’aile gauche de la Macronie au Palais Bourbon s’est quant à lui fendu d’un SMS lapidaire pour qualifier le communiqué présidentiel : « c’est détestable ».
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