Pourquoi la nomination de Barnier à Matignon ne résout pas (encore) la crise politique
POLITIQUE – L’interminable feuilleton estival connaît (enfin) sa conclusion. C’est donc l’expérimenté Michel Barnier, figure historique de la droite, qui a été nommé à Matignon, pour prendre la suite de Gabriel Attal après la défaite du camp présidentiel aux législatives. Dans un communiqué diffusé à la mi-journée du 5 septembre, l’Élysée indique le cap qu’Emmanuel Macron lui a demandé de tenir. Il s’agit pour le Savoyard de 73 ans « de constituer un gouvernement de rassemblement ». Un sommet qui sera particulièrement difficile à franchir pour ce montagnard.
Car la nomination de Michel Barnier ne solde pas vraiment la crise politique déclenchée par la dissolution surprise du 9 juin dernier, et la tripartition de l’Assemblée nationale en trois principaux blocs après les élections législatives qui ont suivi. Les obstacles qui s’érigent devant l’ancien négociateur du Brexit sont nombreux et, plus délicat, de différente nature.
Déficit de légitimité
Parmi eux, un sérieux déficit de légitimité, puisque la famille politique qu’il représente, Les Républicains, n’a récolté que 5,41 % des voix au second tour des élections législatives anticipées, après un premier gadin aux élections européennes. Résultat : 47 sièges pour LR à l’Assemblée nationale (contre 64 en 2022).
Une épine dans le pied qui s’adosse à un autre défaut de taille pour Michel Barnier : il n’a pas appelé à participer au « front républicain » contre le RN au second tour des législatives (pas plus que sa famille politique). Or, c’était pourtant l’enseignement majeur de ces élections anticipées marquées par une participation record : la persistance d’un solide barrage contre l’extrême droite. Raison pour laquelle Emmanuel Macron semblait vouloir faire vivre cet esprit au sein de l’exécutif.
« Les Français souhaitent qu’il y ait une coalition gouvernementale à l’image du barrage républicain qui a été souhaité », affirmait l’entourage du chef de l’État, en amont de la série de consultations organisées à l’Élysée. Or, quelques jours plus tard, Emmanuel Macron, qui voulait surtout un Premier ministre qui ne touche pas à son bilan, s’est finalement tourné vers le représentant d’un parti qui a snobé ce fameux « front républicain », auquel ont participé le Nouveau Front populaire et le camp présidentiel. Pas idéal pour rassembler dans ces conditions.
« On passe de Gabriel Harris à Joe Barnier »
Dès l’annonce, les critiques n’ont pas tardé à pleuvoir, notamment à gauche, qui voit dans cette nomination une « insulte au peuple français ». Même au sein de la macronie historique le choix fait bondir. En rupture avec son camp, le député de la Vienne Sacha Houlié a exprimé son « incompréhension » sur le réseau social X, et prévient que Michel Barnier n’aura pas son soutien. Également issu de l’aile gauche de la macronie, un ministre démissionnaire rit jaune auprès du HuffPost, pointant l’image pas tellement « nouveau monde » renvoyée par cette nomination : « On passe de Gabriel Harris à Joe Barnier ».
Incontestablement, l’enthousiasme est mesuré dans les rangs macronistes, où certains font circuler à dessein le vote de Michel Barnier en 1981 contre la dépénalisation de l’homosexualité, du temps où il était député RPR. Député MoDem du Finistère, Erwan Balanant s’est même dit « en colère » après cette nomination.
Preuve s’il en est que le choix du chef de l’État ne convainc pas totalement ses troupes, où plusieurs redoutent que le Premier ministre se retrouve maintenant à la merci du Rassemblement national. Car si le parti lepéniste n’a pas opposé de censure automatique à l’option Michel Barnier, ce qui offre à Marine Le Pen un rôle d’arbitre qu’elle savoure avec gourmandise, la longévité du Premier ministre dépendra mécaniquement du bon vouloir du RN, qui pourrait se saisir de la moindre occasion pour faire tomber le gouvernement.
Une situation particulièrement fragile sur le plan politique, d’autant qu’elle permet à la gauche de dénoncer cette alliance tacite entre Emmanuel Macron et le Rassemblement national en contradiction (encore) avec l’esprit du « front républicain ». À titre d’exemple, Jean-Luc Mélenchon n’a pas attendu pour dérouler. « Le Premier ministre est nommé avec la permission et peut-être la suggestion du Rassemblement national. C’est quasiment un gouvernement de Monsieur Macron et de Madame Le Pen », a-t-il grondé dans la foulée de l’annonce.
Dilemme
Sur le fond, c’est peu dire que Michel Barnier constitue un pont entre macronistes et lepénistes. Durant la primaire LR, il défendait un programme économique libéral marqué notamment par le report de l’âge légal de départ à la retraite. Du miel aux oreilles de Renaissance. En parallèle, il proposait un référendum et un « moratoire » sur l’immigration, l’interdiction du voile dans l’espace public ainsi que l’expulsion des étrangers condamnés à de la prison. Tout comme la remise en ordre des comptes publics. Comment le RN, qui a fixé des conditions très proches pour ne pas faire tomber un Premier ministre, pourrait sérieusement y être insensible ?
Ce faisant, et en l’absence de soutien venant de la gauche, Michel Barnier sera fatalement confronté à un dilemme, dont la réponse conditionnera sa survie à Matignon : faut-il tracer un chemin sans le RN, au risque de se faire censurer ? Ou faut-il aller dans son sens, au risque de fracturer le camp présidentiel et de bafouer le message électoral du « front républicain » ? Expérimenté et négociateur, Michel Barnier dispose sans doute des ressources pour être imaginatif et tenter de résoudre l’équation. Il n’aura pas d’autre choix. Car les stigmates de la crise provoquée par la dissolution n’ont pas disparu avec sa nomination.
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