« Macron entraîne la Ve République vers son crépuscule » – TRIBUNE
TRIBUNE – Si la Constitution de 1958 mit trois ans à devenir la Ve République, 2024 l’a fait entrer dans son crépuscule. En effet, en 1962 comme cette année, l’utilisation successive de trois outils constitutionnels a généré des conséquences imprévues : une dissolution, une nomination d’un Premier ministre et une censure. Un parallélisme frappant.
En choisissant Georges Pompidou pour succéder à Michel Debré dans la fonction de Premier ministre le 14 avril 1962, le général de Gaulle marquait sa volonté d’occuper une fonction plus large que celle que la Constitution lui réserve. Le nouveau chef de gouvernement n’avait pas le parcours parlementaire de son prédécesseur et était, alors, aussi dépourvu d’ambitions politiques personnelles qu’étranger à tout dogmatisme. De Gaulle remplaçait un combattant obstiné par un exécutant docile. L’exécutif perdait alors son caractère dyarchique. L’hégémonie présidentielle s’installait.
Quelques semaines plus tard, le 5 octobre 1962, l’Assemblée nationale renversait le gouvernement pour marquer son hostilité à la manière dont le général de Gaulle conduisait sa réforme introduisant l’élection du président de la République au suffrage universel direct en détournant la Constitution par l’usage de l’article 11 en lieu et place de l’article 89. La réplique du chef de l’État fut à la hauteur de l’accident : il maintint Georges Pompidou dans ses fonctions et dissolut dès le 9 octobre l’Assemblée, convoquant des élections les 18 et 25 novembre 1962. Le régime fut secoué mais l’exécutif en sortit renforcé : non seulement les Français approuvèrent le référendum contesté mais de surcroît le parti du Président (l’UNR) gagna 41 sièges permettant au gouvernement d’être soutenu par une « majorité assez compacte, homogène et résolue pour appuyer constamment par sa confiance et rendre efficace par son œuvre législative une seule et même politique en excluant toute crise jusqu’au terme de son mandat » comme l’écrira plus tard de Gaulle.
En choisissant Pompidou pour succéder à Debré, le général de Gaulle marquait sa volonté d’occuper une fonction plus large que celle que la Constitution lui réserve. L’hégémonie présidentielle s’installait.
Ainsi à la fin 1962, les principaux traits de la Ve République étaient en place : primauté du Président élu au suffrage universel, servitude volontaire du Premier ministre et domestication du Parlement, et notamment de l’Assemblée dominée par « le fait majoritaire » favorable au chef de l’État. La « République gaullienne » au sein de laquelle le Président occupait une place centrale pouvait véritablement débuter.
Pendant soixante ans, au prix de quelques adaptations plus ou moins inspirées, la Constitution de 1958 a ancré la France dans un système institutionnel solide dans lequel les citoyens avaient la garantie d’être durablement gouvernés. Mais depuis quelques années, les désordres s’accumulent : délitement des majorités, balkanisation du système partisan, brutalisation du débat public, volatilité gouvernementale, abstention endémique. Insensiblement, la scène politique s’est enténébrée témoignant d’un effondrement du régime lourdement sous-estimé.
Les évènements qui viennent de s’enchaîner en sont le signe ultime. Ils sont le produit d’une déconstruction constante des mécanismes constitutionnels qui restera la marque d’Emmanuel Macron. Ce fut d’abord la décision de dissoudre aussi incomprise qu’inutile – ce qui risque accessoirement de pétrifier l’usage d’un des outils présidentiels dédiés à l’arbitrage. Non seulement elle ne répondait pas à une nécessité mais elle ne visait pas un résultat positif puisqu’elle réagissait à la montée en puissance du RN. Ce mécanisme initialement conçu pour résoudre une crise a donc servi à en fabriquer une. La XVIIe législature de la Ve République a ainsi débuté avec un Président affaibli et un Parlement divisé : une Assemblée nationale éclatée en trois blocs dont aucun ne peut réunir une majorité même relative et un Sénat en position de force alors même que, selon la Constitution, il ne peut jamais imposer son choix à un gouvernement.
Insensiblement, la scène politique s’est enténébrée, témoignant d’un effondrement du régime sous-estimé. Les évènements qui viennent de s’enchaîner en sont le signe ultime.
Ce fut ensuite la nomination de Michel Barnier. S’il est certain que personne n’avait gagné les élections législatives, tous ne les avaient pas perdus. Seul LR fut clairement défait : 9,7 % des voix contre 13,17 % en 2022, 47 élus contre 61 députés sortants. Mais pour la première fois depuis 1958, le résultat des législatives ne conditionna pas le choix du Premier ministre. L’avertissement de François Mitterrand le 2 mars 1986 était oublié : « On ne pose pas de conditions au Président de la République, il nomme qui il veut, mais il doit se placer en conformité avec la volonté populaire ». En installant un chef de gouvernement dont le soutien parlementaire était le plus friable depuis 1958, Emmanuel Macron se fourvoyait une fois de plus car même sous la Ve République, il est impossible de gouverner paisiblement contre l’Assemblée.
Puis vint enfin la censure en réplique à l’engagement du 49.3. Arguant d’un contexte déjà incertain, l’on vit ainsi curieusement un Premier ministre, pourtant responsable des choix contestés et qui d’ailleurs les revendiquait, en appeler à ses opposants pour qu’ils s’abstiennent de le sanctionner. Une mise en garde sur le risque d’un chaos pour faire oublier que ce gouvernement en était déjà le produit. Mais alors pourquoi avoir mobilisé cet article plutôt que d’autres ressources constitutionnelles comme l’article 47 qui aurait pu lui permettre de passer par des ordonnances ? Sans doute l’exécutif s’était-il convaincu, à partir de l’expérience d’Élisabeth Borne, que ce fameux 49.3 était un véritable totem d’immunité. « Il s’en trouva fort dépourvu quand la bise fut venue » selon les mots de La Fontaine.
Constatons donc que le régime fort que fut – un temps – la Ve République n’est plus. Il faut donc bien finir par s’attaquer à la racine du mal.
Au terme de ces secousses telluriques, la Constitution de 1958 n’est plus, selon la saisissante formule de Georges Burdeau, qu’un « temple allégorique habité par des ombres ». Il est temps de l’admettre. Bien sûr, les juristes les plus juridisants soutiendront que ce ne sont pas les institutions qui sont en cause mais ce qu’il est advenu d’elles parce que des comportements politiques les ont abaissés. Que les institutions ne font que mettre en évidence les limites des hommes qui occupent les responsabilités. Mais en politique plus qu’ailleurs les intentions comptent moins que les résultats. Au surplus, les constitutions doivent être faites à la mesure des hommes et non à celles des héros. Constatons donc que le régime fort que fut – un temps – la Ve République n’est plus puisque jamais le pouvoir n’a paru aussi impuissant. Il faut donc bien finir par s’attaquer à la racine du mal.
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