Politique

Le RN se retrouve-t-il piégé par sa censure de Barnier ?

POLITIQUE – Il y a des signes qui ne trompent pas. La volte-face en 48 heures en est un. Ce mardi 10 décembre, Marine Le Pen a affirmé qu’elle ne voulait pas être reçue par l’Élysée, où une réunion accueillant les partis politiques ouverts au compromis, de LR au PCF, est organisée dans le but de déboucher sur une méthode permettant une non-censure. Problème : le président du Rassemblement national disait précisément l’inverse dimanche.

« Je demande à être reçu avec Marine Le Pen de manière à pouvoir exprimer très clairement nos lignes rouges », affirmait Jordan Bardella sur le plateau de Dimanche en politique sur France 3. De fait, ce cafouillage jette une lumière crue sur la situation dans laquelle se retrouve le parti lepéniste, passé l’euphorie de la censure de Michel Barnier. Sur le plan institutionnel, le voilà écarté des discussions, quand celui-ci était reçu en grande pompe dans l’été à l’Élysée pour fixer ses « lignes rouges » et exiger un profil de Premier ministre qui lui convienne.

Pistolet à eau

Cette fois, le RN (qui n’avait jamais été autant considéré par un pouvoir exécutif) pourrait être condamné à regarder passer les trains. Plus délicat, si un accord de non-censure ratifié par la majeure partie de la gauche jusqu’à la droite émerge effectivement des discussions élyséennes, Marine Le Pen et ses troupes perdraient un pouvoir utilisé jusqu’à la corde sous Michel Barnier : celui d’être en capacité de faire chuter le gouvernement. Dès lors, la députée du Pas-de-Calais peut bien réclamer un chef de gouvernement « qui respecte l’ensemble des forces politiques » et tienne compte de ses « lignes rouges », elle n’aurait plus les moyens de contraindre l’exécutif d’accéder à ses requêtes, dans la mesure où son arme de destruction massive pourrait être transformée en pistolet à eau.

Une perte sèche lorsqu’on se souvient que le gouvernement de Michel Barnier a fait beaucoup en direction du RN, jusqu’à annoncer une nouvelle loi immigration reprenant les parties du précédent texte censurées par le Conseil constitutionnel. Soit précisément ce que Marine Le Pen avait réclamé après la déclaration de politique générale de Michel Barnier. Dorénavant, et après avoir été placé au centre de l’attention par l’exécutif, le RN pourrait se retrouver marginalisé, et promis à voter des motions de censure inopérantes avec La France insoumise. Pas idéal pour qui convoite le pouvoir suprême.

« Le fait que le président de la République semble écarter le RN des discussions est une différence avec l’été ainsi qu’une victoire pour la gauche », savoure auprès du HuffPost un cadre socialiste. Or, il n’était pas forcément prévu au RN qu’une censure du Savoyard débouche sur un gain direct pour la gauche, qui plus est dans un contexte où le parti lepéniste cherche à supplanter la droite, en opérant un virage libéral sur le plan économique et en surjouant une posture institutionnelle, afin d’apparaître comme un parti de gouvernement.

Des premiers effets négatifs

Selon un sondage Elabe, 78 % des sympathisants de droite se disent « mécontents » de la censure à laquelle a participé le RN. « La stratégie de respectabilisation du parti est ainsi mise à mal. Ces nouveaux votants peuvent se dire que derrière cette façade, le RN est un parti toujours aussi radical qui fait fi de la question des déficits », note dans Le Figaro Brice Teinturier, directeur général délégué de l’institut de sondages Ipsos. En outre, il existe un risque que les électeurs de droite convoités par le RN tiennent Marine Le Pen pour responsable en cas de nomination d’un Premier ministre se tournant sur sa gauche.

« Je suis inquiet de la censure car on ne sait pas qui va reprendre les commandes : si c’était les bolcho-écolos ? », s’interrogeait dans Le Parisien José Pérez, le président de la fédération du Lot-et-Garonne de la Coordination rurale, syndicat agricole proche du RN. Quoi qu’il en soit, des effets négatifs se font déjà ressentir sur le terrain. Samedi 7 décembre, le député RN de Dordogne Serge Muller a vu sa permanence prise pour cible par des agriculteurs en colère, lui reprochant le vote d’une censure qui a pour effet immédiat de bloquer les aides prévues par le gouvernement dans le budget.

Même chose lundi 9 décembre dans la soirée pour sa collègue Hélène Laporte, élue dans le Lot-et-Garonne et porte-parole du RN. Ou chez Frédéric Weber, député RN de Meurthe-et-Moselle, ou Caroline Colombier en Charente. Preuve s’il en est que les efforts déployés par Marine Le Pen et Jordan Bardella pour convaincre cette profession – qui bénéficie du soutien massif de l’opinion – du bien-fondé de la censure n’ont pas porté leurs fruits. Désarmé à l’Assemblée, écarté des discussions sur le prochain exécutif et maintenant dans le collimateur des agriculteurs, le RN entre dans l’après-censure comme dans une zone de turbulences. Avec l’espoir que l’aventure ne tourne pas au crash.

À voir également sur Le HuffPost :

La lecture de ce contenu est susceptible d’entraîner un dépôt de cookies de la part de l’opérateur tiers qui l’héberge. Compte-tenu des choix que vous avez exprimés en matière de dépôt de cookies, nous avons bloqué l’affichage de ce contenu. Si vous souhaitez y accéder, vous devez accepter la catégorie de cookies “Contenus tiers” en cliquant sur le bouton ci-dessous.