Politique

Avec le barème de l’impôt, la loi spéciale censée être technique devient politique

POLITIQUE – La loi spéciale ne contient que trois petits articles, mais n’allez pas croire qu’elle sera expédiée en deux temps trois mouvements. Avant même l’arrivée du texte dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale à partir du lundi 16 décembre, un point revient avec insistance dans les échanges entre les parlementaires : l’indexation du barème de l’impôt sur l’inflation.

Avant le vote de la censure, c’était l’argument le plus utilisé par les soutiens du gouvernement. « Près de 18 millions de Français verront leur impôt sur le revenu augmenter, d’autres en paieront pour la première fois parce qu’on n’aura pas pu inscrire dans la loi de finances la réindexation qui est prévue (…)  pour le barème des tranches d’impôt, c’est inéluctable », avait mis en garde Michel Barnier au 20 heures de TF1 et France 2 le 3 décembre.

Censuré dans la foulée, le gouvernement a présenté un projet de loi spéciale (PLS) pour assurer la continuité de l’État en l’absence de textes budgétaires. Prévu pour être temporaire, son périmètre est nécessairement « restreint » a souligné le président de la Cour des Comptes Pierre Moscovici et encadré par la Constitution et la loi organique de 2001 relative aux finances publiques. Le texte du gouvernement démissionnaire ne comporte que trois articles : un pour lever les recettes, un autre pour autoriser les dépenses nécessaires et le troisième pour autoriser les organismes de sécurité sociale à emprunter.

De fait, le texte est technique et sans enjeu politique. Pour preuve, avant même d’en connaître le contenu, la majorité des partis politiques se sont engagés à la voter. Mais certains espèrent aussi « l’améliorer », dixit le socialiste Boris Vallaud, avec un amendement pour indexer le barème de l’impôt sur l’inflation.

« Le choix politique, il est sur la non-indexation »

Le sujet est sensible, dans une période où le pouvoir d’achat est la priorité numéro 1 des Français. Rapidement, il s’impose dans le débat politique. Laurent Saint-Martin, le ministre du Budget, assure dès le 9 décembre qu’une telle modification serait « inconstitutionnelle ». Un avis du Conseil d’État rendu le 10 décembre va dans le même sens. Fin du match ? Pas du tout. Quelques heures après la présentation du projet de loi en Conseil des ministres le 11 décembre, l’indexation du barème s’invite avec insistance à l’audition par la commission des finances des ministres du Budget et de l’Économie Laurent Saint-Martin et Antoine Armand.

L’écologiste Éva Sas reproche au gouvernement démissionnaire d’avoir « agité des peurs » sur une hausse des impôts. Le député RN Jean-Philippe Tanguy abonde, favorable à un amendement à la loi spéciale. C’est justement en n’indexant pas le barème de l’impôt sur l’inflation que le périmètre des « impôts existants » sera modifié, contrevenant dès lors au cadrage en vigueur, font valoir ceux qui défendent cet ajout. « Le choix politique, il est sur la non-indexation », juge l’élu RN.

Plusieurs groupes vont s’emparer du sujet. L’insoumis Éric Coquerel et les socialistes de Boris Vallaud vont chacun déposer un amendement, tout comme les écologistes. « Nous sommes pour cette mesure », confirme au HuffPost la présidente du groupe Cyrielle Chatelain. Selon nos informations, les communistes de GDR « envisagent » aussi de la soutenir. Le RN pourrait aussi ajouter ses voix s’il ne dépose pas son propre texte.

Une bataille de récits, sans réel enjeu pour les Français

« On voit bien dans cette séquence deux écoles de pensées. Ceux qui considèrent qu’on peut enfoncer des coins dans les institutions de façon indolore et qu’on peut passer par-dessus » et les autres, ceux qui « ne le considèrent pas » comme « beaucoup de députés ici », tonne Laurent Saint-Martin en audition. Alors que des permanences ont été ciblées par des agriculteurs en colère, « c’est un piège très grossier pour essayer de se redorer le blason après la censure », glisse une source MoDem. « C’est juste un coup politique, ils choisissent le seul sujet qui n’a pas d’impact immédiat sur les Français », fulmine notre interlocuteur.

Car oui, dans les faits, amendement ou pas, les impôts des Français ne vont pas augmenter au 1er janvier 2025. Les déclarations de revenus ne se font pas avant le printemps et d’ici là un projet de loi finances en bonne et due forme aura été voté par le Parlement, à moins que la nomination du nouveau Premier ministre ne permette pas de résoudre la crise politique.

Éric Coquerel lui-même en convient : le dépôt de son amendement intervient surtout pour « sécuriser » les Français après les discours du gouvernement « faits pour les effrayer ». Une bataille de récits donc, mais qui pourrait bien se concrétiser dans les couloirs de l’Assemblée.

En commission des finances, plusieurs amendements sur le barème de l’impôt ont été adoptés ce 12 décembre. Pour être examinés en séance, ils doivent être déclarés recevables par la présidente EPR de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet. Si c’est le cas, les députés opposés à la mesure devront réussir à faire entendre que même sans modification de la loi spéciale, les impôts n’augmenteront pas dans l’immédiat, au risque sinon d’être accusés de négliger le pouvoir d’achat des Français.

Idem sur le possible recours au Conseil Constitutionnel : selon Boris Vallaud, les présidents de groupe se sont mis d’accord pour ne pas saisir les Sages et ainsi éviter que l’amendement soit retoqué. Le Premier ministre démissionnaire Michel Barnier pourrait-il le faire ? Interrogés en commission des lois, ses deux ministres ont refusé de répondre. Amendement ou pas amendement, le coup à prendre est plus politique que fiscal.

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