Politique

Pourquoi l’opération séduction de Macron pour les chercheurs américains laisse circonspect en France

POLITIQUE – Il nous manque un pognon de dingue. Voilà en substance le sentiment qui s’exprime en France, dans la communauté scientifique mais pas seulement, après les annonces d’Emmanuel Macron et du gouvernement à l’attention des chercheurs étrangers.

Depuis plusieurs jours, l’exécutif s’est effectivement lancé dans une opération séduction qui vise à inciter des chercheurs (avant tout américains) à s’installer en France, et en Europe, à l’heure où la politique de Donald Trump pourrait contraindre leur activité outre-Atlantique. Vendredi, le président de la République leur a déclaré sa flamme dans un communiqué publié en français et en anglais en leur donnant rendez-vous le 5 mai.

Expliquant que « la recherche est une priorité » en France, « l’innovation une culture, la science un horizon sans limite », il a donc convié le gratin de la recherche mondiale à un sommet à Paris. Un grand raout, point d’orgue de cette drague printanière, qui suscite déjà des crispations dans l’Hexagone. De nombreuses voix dénoncent un exercice de communication « indécent » à l’heure où la recherche française est exsangue.

« Foutage de gueule »

Le diplomate Gérard Araud se dit par exemple « effaré » par le discours du gouvernement, en décalage complet selon lui avec les conditions réelles d’activité en France. « En tant qu’ambassadeur aux États-Unis, je n’ai cessé d’y rencontrer des chercheurs français qui auraient préféré revenir dans leur pays mais qui se heurtaient aux conditions qu’on leur y offrait en termes de rémunération et de laboratoire », explique-t-il, à l’unisson des principaux concernés.

Sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux, professeur des universités, enseignants, à ironiser effectivement sur la campagne du gouvernement. S’ils approuvent l’idée d’accueillir leurs confrères du monde entier, qui plus est quand leur liberté académique est menacée, ils pointent, pour la plupart, le manque de moyen chronique dont souffre déjà la recherche française. « Les universités gèlent des postes. Des centaines de jeunes chercheurs prometteurs ne peuvent faire carrière. Les déplacements en conférence sont réduits… », énumère par exemple l’économiste David Cayla, en estimant « indécent » le discours du chef de l’État.

Un constat de dénuement partagé, et susceptible de faire naître de nouvelles craintes sur les conditions de travail, comme l’explique Serge Haroche, le prix Nobel de physique 2012 et professeur émérite au collège de France dans les colonnes du Parisien. « En France, la recherche n’est pas suffisamment soutenue, donc il ne faudrait pas que ces budgets soient pris sur des moyens existants, explique-t-il ce dimanche 20 avril, Cela ne serait pas convenable, et alimenterait les tensions. »

Comment financer cet accueil ?

Dans ce contexte, certaines voix à gauche s’engouffrent dans le débat pour critiquer le « foutage de gueule » du chef de l’État et des ministres. La députée insoumise Nadège Abomangoli estime que le gouvernement « se vautre dans une réalité alternative » alors que « depuis des années, les chercheurs partent à l’étranger pour travailler. » « Qui va venir en France ? C’est la régression, tout le monde a bien constaté que la France a tué l’université et en particulier la recherche », fustige l’élue de Seine-Saint-Denis.

C’est un fait, les universités en France sont dans le rouge, la plupart ont terminé l’année 2024 en déficit. Et la situation alarmante de la recherche est documentée : l’État consacre moins d’argent qu’ailleurs au monde scientifique, les chercheurs sont moins bien payés, et les coupes budgétaires menacent de se poursuivre. Comment, dès lors, accueillir des « centaines » d’universitaires étrangers, comme l’espère le gouvernement ? Ceci quand faire venir une pointure dans son domaine, avec son équipe, peut coûter jusqu’à un million d’euros ?

Conscient de la sensibilité du sujet, le ministère de l’Enseignement supérieur précise que l’argent qui sera consacré au sommet « choose France » sera « supplémentaire. » Invité de franceinfo samedi, Philippe Baptiste a, lui, insisté sur la contribution des collectivités locales et la dimension européenne que doit prendre cette stratégie. Des précisions susceptibles de répondre aux critiques en France ? En partie, peut-être. Les chercheurs qui se souviennent de l’enquête lancée par leur ministre Frédérique Vidal en 2021 sur « l’islamo-gauchisme à l’université », risquent de rester sceptiques.

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