Pourquoi Jérôme Guedj, pris pour cible en manif, cristallise tant de rancœurs
POLITIQUE – Anatomie d’une lutte. Le député socialiste Jérôme Guedj a été pris pour cible, avec plusieurs de ses collègues, jeudi, dans le cortège parisien du 1er mai. Selon le récit des socialistes, images à l’appui, le stand du parti a été visé par des manifestants cagoulés pendant de longues minutes et plusieurs élus – dont l’Essonnien – ont dû s’écarter du défilé.
Une scène qui en rappelle une autre, quelques jours plus tôt, dimanche 27 avril. Le même député s’était alors éclipsé d’une manifestation organisée contre l’islamophobie et en hommage au jeune malien, Aboubakar Cissé, tué dans une mosquée du Gard. Il était là aussi pris pour cible par une poignée de manifestants particulièrement vindicatifs.
Deux illustrations, coup sur coup, d’un fait tenace en ce printemps : le Parti socialiste, Jérôme Guedj en particulier, cristallise les rancœurs et les haines recuites à gauche, ou à l’extrême gauche. Quelles pistes peuvent l’expliquer ?
Le spectre de l’antisémitisme
Pour Jérôme Guedj et de nombreux dirigeants du Parti socialiste ou du bloc central, pas de doute : si le député socialiste de l’Essonne est particulièrement visé, c’est en raison de son engagement universaliste, et surtout, de sa confession présumée. « Il s’est fait agresser parce qu’il est socialiste et parce qu’il est juif », écrit ainsi sans ambages sur les réseaux sociaux le maire de Rouen Nicolas Meyer Rossignol, en campagne pour prendre la tête du PS.
S’il n’a pas entendu des slogans antisémites, jeudi, le principal concerné – ciblé dimanche aux cris de « parti sioniste » – évoque un certain climat. « On a des alertes […]. Quand ça pue l’antisémitisme, on le sent. Et ça me brise le cœur de vous dire ça, que des gens à gauche aujourd’hui puissent banaliser, être complaisants, regarder ailleurs », a-t-il ainsi expliqué jeudi soir sur BFMTV, ciblant ses nombreux partenaires qui hésitent à mettre l’agressivité des militants cagoulés sur le compte de la haine des juifs.
C’est un fait : le député socialiste est particulièrement visible dans le débat public quand il évoque les répercussions, en France, du conflit au Moyen-Orient. C’est lui, par exemple, qui avait rompu le premier avec l’alliance des gauches à l’automne 2023 quand La France insoumise s’était comportée selon lui en « idiot utile » du Hamas après l’attaque du 7 octobre. Depuis, il critique la riposte du gouvernement de Benjamin Netanyahu à Gaza, mais en ferraillant, parfois, contre les initiatives politiques de ses collègues souhaitant dénoncer la politique d’Israël.
Les « décérébrés » et « ceux qui les arment »
Un positionnement qui lui attire les foudres cinglantes et nourries des mélenchonistes, lesquels font du « génocide à Gaza », une mère des batailles. Avec des déclarations parfois ambiguës du patriarche insoumis – pourtant très proche, jadis, de Jérôme Guedj et qu’il n’avait d’ailleurs pas soutenu lors des législatives post-dissolution.
Acmé de cette tension : printemps 2024. Quand le député socialiste critique le logo d’une association, où figure « une carte d’Israël avec écrit “Palestine libre” », qui organise une conférence de l’eurodéputée LFI Rima Hassan dans une université, ce qui provoquera en bout de course son interdiction, Jean-Luc Mélenchon sort la sulfateuse. Et signe un texte d’une grande violence à l’encontre de son ancien camarade, qu’il accuse notamment de « net recul » sur la question palestinienne.
Dans ce brûlot, l’Insoumis estime que « l’ambiguïté du propos est un signe dans son milieu de fanatisme », qu’il est « intéressant de le voir s’agiter autour du piquet où le retient la laisse de ses adhésions », ou encore qu’il en vient à nier « les principes les plus constants de la gauche du judaïsme en France. »
Or pour Jérôme Guedj, qui s’était ému d’être renvoyé pour la première fois « à son judaïsme », ce genre de déclarations nourrissent précisément une atmosphère antisémite, et le désignent à la vindicte. C’est ce qu’il dit à mots couverts, jeudi soir, quand il fustige l’attitude des « décérébrés » du 1er mai, et « ceux qui les arment par leurs mots, leur silence. »
Le PS, un passif ?
Reste que ce phénomène de défiance, particulièrement fort à l’égard du député francilien, n’est pas nouveau pour le Parti socialiste. Au-delà des accusations de racisme et d’antisémitisme, il est aussi intéressant de noter que plusieurs caciques du PS ont déjà été pris pour cible dans des manifestations. Parfois très violemment.
Ce fut le cas par exemple de la maire de Paris, Anne Hidalgo, au tout début de la présidentielle 2022, en janvier. Présente dans un cortège d’enseignants, la socialiste avait été copieusement huée et bousculée, avant de quitter les lieux. Quatre ans plus tôt c’est le premier secrétaire Olivier Faure qui était exfiltré d’une manifestation du 1er mai. Il était alors sifflé et insulté aux cris de « dehors le PS », un mot de ralliement qui ressemble fort à ceux entendus jeudi. À savoir : « tout le monde déteste le PS. »
Le signe, là aussi, que le parti à la rose continue de payer, auprès des militants radicaux ou de l’extrême gauche, le quinquennat de François Hollande – jugé bien trop à droite pour certains. C’est d’ailleurs en 2016, lors des mouvements contre la « loi El Khomri », point de départ de la dérégulation du droit du travail, que le black bloc (accusé d’être à l’origine des violences jeudi) s’est installé en France. Avant d’entretenir une rancœur tenace – et bruyante – contre le PS.
À cet égard, il semble particulièrement singulier de voir Jérôme Guedj, peut-être l’élu le plus identifié sur le stand PS sur la manifestation, cristalliser ces vieilles tensions politiques : le député était un farouche frondeur de François Hollande, avant de s’inscrire dans la tendance « gauche » au PS et de lutter notamment contre la réforme des retraites d’Élisabeth Borne en 2023.
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