Divertissement

Pourquoi bannir les drapeaux LGBT+ de la scène de l’Eurovision trahit l’esprit du concours

EUROVISION – C’est l’image qui avait marqué l’Eurovision l’année dernière. Sa victoire tout juste annoncée, l’artiste Nemo monte sur scène sous les applaudissements du public et en brandissant le drapeau non binaire jaune-blanc-violet-noir. L’interprète suisse de la chanson The Code avait dû « passer [son] drapeau en douce » et avait d’ailleurs appelé le concours à « changer un peu » son règlement, qui n’autorisait sur scène que les drapeaux des pays participants et le drapeau arc-en-ciel LGBT+.

Un an plus tard, la règle a bel et bien changé… mais pas dans la bonne direction. Pour l’édition 2025, dont la finale a lieu à Bâle (Suisse) samedi 17 mai, l’Union européenne de radiodiffusion (UER) qui organise le concours a encore durci son règlement. Si le public peut assister à la compétition avec les drapeaux de son choix, les artistes, eux, ne peuvent pavoiser qu’avec le drapeau du pays qu’ils représentent. Ainsi, la chanteuse française Louane et ses concurrents n’ont par exemple pas le droit de s’afficher avec le drapeau ukrainien ou palestinien, ni avec les drapeaux arc-en-ciel, trans ou non binaire.

Cette interdiction peut étonner au regard de l’histoire de l’Eurovision, célébré par la communauté LGBT+ pour la visibilité qu’il a accordé aux artistes queers au fil des années. Le journaliste Fabien Randanne, qui suit le concours depuis dix ans et lui a consacré le livre Queerovision (Éditions Double Ponctuation), se dit « étonné » par cette décision.

« C’est dommage pour les artistes qui font partie de la communauté LGBT, mais aussi pour les artistes alliés qui veulent la soutenir », explique-t-il au HuffPost, qualifiant les restrictions sur les drapeaux de « recul ». « On est dans une période où la Hongrie interdit les prides, où le Royaume-Uni a exclu les femmes trans de la définition juridique de la femme, pointe-t-il. La communauté LGBT a vraiment besoin de cette visibilité ». D’autant plus, rappelle le journaliste, qu’il s’agit d’un concours « où la question LGBT est essentielle et consensuelle ».

Un concours « où la différence est célébrée »

De Conchita Wurst à Bilal Hassani, l’Eurovision a mis en avant les personnes queers au fil des années. « Le programme est un miroir tendu à l’Europe, estime Fabien Randanne, on peut y voir les esprits évoluer sur les questions politiques et sociétales. » Mais s’il change en suivant l’évolution des mentalités, le concours n’hésite pas à les bousculer parfois en mettant en avant des personnes LGBT+ trop souvent invisibilisées dans les médias et la pop culture.

Les exemples ne manquent pas, notamment celui de l’Islandais Paul Oscar, premier participant ouvertement gay en 1997, ou celui de l’Israélienne Dana International, première femme trans à concourir en 1998. « À l’époque, la question trans est peu évoquée dans les médias et souvent sous des angles sensationnalistes, souligne Fabien Randanne. Là, on a une femme artiste qui remporte le concours grâce au vote du public. » La scène de l’Eurovision a aussi accueilli des drag queens dès 2002 avec le trio slovène Sestre, bien avant le sacre de Conchita Wurst en 2014.

Dix ans plus tard, en 2024, le concours a vu participer pour la première fois des personnes ouvertement non binaires avec Bambie Thug pour l’Irlande et Nemo pour la Suisse, qui a raflé le trophée. Tous ces artistes ont permis de donner davantage de visibilité à la communauté LGBT+, faisant de l’Eurovision « un espace où la différence et ce qui sort des codes est célébré », résume Fabien Randanne.

« L’Eurovision a besoin de la communauté LGBT pour exister »

Mais alors, comment expliquer cette décision de l’UER sur les drapeaux ? Pour le journaliste spécialiste de l’Eurovision, le fond du problème n’est pas vraiment la représentation des personnes queers. « Si cette nouvelle procédure est aussi stricte, c’est moins pour interdire les prises de position sur la communauté LGBT que d’autres qui seraient plus polémiques, comme sur Israël et la Palestine », analyse-t-il.

De fait, l’édition 2025 du concours, comme la précédente, est percutée de plein fouet par l’actualité au Moyen-Orient. Compte tenu des attaques menées par Israël à Gaza, certains artistes et eurofans demandaient le retrait de l’État hébreu du concours, trois ans après l’exclusion de la Russie dans le sillage de la guerre en Ukraine. Ces protestations n’ont pas empêché l’UER de maintenir la participation d’Israël en 2024 puis en 2025.

« Le sujet n’était pas le drapeau arc-en-ciel, résume Fabien Randanne, d’autant plus que l’Eurovision a besoin de la communauté LGBT pour exister. » Comme le rappelle le journaliste, « le concours est suivi par un très large public, mais il repose aussi sur une communauté de fans qui le fait vivre tout au long de l’année, et beaucoup de ces fans-là sont gays ». « L’UER ne s’est d’ailleurs pas montrée fermée à rediscuter cette politique des drapeaux », insiste-t-il, soulignant que « rien n’est définitif ».

Pour autant, le spécialiste du concours appelle à « rester vigilant », dans un contexte où « l’Europe vit une montée des populismes et de l’extrême droite ». « C’est quand on pense qu’un droit nous est acquis qu’il peut y avoir un retour de bâton, poursuit-il. Mais je pense que la communauté de fans de l’Eurovision, assez engagée, saura rester mobilisée sur ce sujet comme sur d’autres ».

À voir également sur Le HuffPost :

La lecture de ce contenu est susceptible d’entraîner un dépôt de cookies de la part de l’opérateur tiers qui l’héberge. Compte-tenu des choix que vous avez exprimés en matière de dépôt de cookies, nous avons bloqué l’affichage de ce contenu. Si vous souhaitez y accéder, vous devez accepter la catégorie de cookies “Contenus tiers” en cliquant sur le bouton ci-dessous.