Economia

Une affaire d’État ? On vous résume le scandale des eaux en bouteille Nestlé

POLITIQUE – L’affaire est aussi tentaculaire que ses implications : politique, administrative, économique… Le scandale des eaux en bouteille Nestlé sera au cœur ce lundi 19 mai de la présentation du rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur les pratiques des industriels de l’eau, présidée par le LR Laurent Burgoa, et dont le rapporteur est le sénateur PS Alexandre Ouizille. Ils auront auditionné des dizaines et des dizaines de personnes, dont trois ministres et ex-ministres.

Au cœur de ce scandale, Nestlé Waters, leader mondial de l’agroalimentaire qui commercialise des chouchous du consommateur français, et qui a généré un chiffre d’affaires de 93 milliards d’euros en 2024. L’entreprise a reconnu avoir utilisé des systèmes de filtration de l’eau illégaux (filtra à charbon, traitement UV) pour ses eaux Vittel, Contrex, Perrier et Hépar.

Or, la réglementation européenne interdit toute désinfection des eaux minérales qui doivent être naturellement de haute qualité microbiologique. En parallèle, la justice s’est aussi saisie de l’affaire après des plaintes d’ONG pour « tromperie ». Le HuffPost fait le point sur ce dossier qui éclabousse jusqu’au plus haut sommet de l’État.

• Une affaire révélée par la presse

Côté grand public, ce sont des enquêtes de presse qui révèlent en 2024 que Nestlé contourne la réglementation. Juste avant, le groupe prend les devants, avouant des pratiques « passées » et annonçant le remplacement de filtres à charbon et traitements UV, utilisés au moins jusqu’en 2021 pour certains, et 2023 pour d’autres, par un système de microfiltration.

Or, le gouvernement a été informé dès 2021 par Nestlé de ces contournements, et a approuvé en 2023 son plan de transformation incluant la microfiltration. Le seuil retenu (0,2 micron) faisait aussi débat.

• L’Élysée au cœur du dossier, passe-droit pour Nestlé ?

Pierre Ouizille a accusé l’Élysée d’avoir su depuis des années que Nestlé trichait, sans procéder à des sanctions. C’est en ce sens que les sénateurs voulaient entendre Alexis Kohler, ex-bras droit d’Emmanuel Macron, ce que l’intéressé a décliné préférant renvoyer un dossier de plus de 70 pages.

Elles montrent selon le sénateur, la « densité » des échanges entre Nestlé et la présidence, lesquels se sont poursuivis même pendant l’enquête parlementaire. « Les contacts sont fréquents et l’Élysée ouvre les portes de certains ministères au groupe suisse », assure Alexandre Ouizille, ajoutant que la présidence avait aussi conscience que cela créait une distorsion de concurrence. Surtout, selon lui, elle était par ailleurs au courant des contaminations sur certains forages.

Un courriel de fin 2024, reçu par Alexis Kohler d’un conseiller, évoque pour Perrier dans le Gard des « sources de plus en plus régulièrement polluées ». Il évoque aussi de possibles « problèmes entre les marques : ceux qui ont une eau pure n’ont pas intérêt à ce que leurs concurrents puissent utiliser des techniques de purification ». Après de nouvelles révélations en février, Emmanuel Macron a démenti être au courant du dossier, ajoutant qu’il n’y avait eu ni « entente », ni « connivence ».

• Millefeuille administratif et lenteurs

Dès août 2021, Nestlé sollicite le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher pour présenter un plan de transformation, alors que son concurrent se trouve sous le coup d’une enquête de la répression des fraudes. Mais au premier rendez-vous, le directeur de cabinet évoque des doutes « sur la sincérité » de la démarche. Un rapport est finalement demandé à l’inspection générale des affaires sociales, qui conclut que 30 % des marques d’eaux en bouteille « subissent des traitements non conformes ». Il n’est rendu public qu’en 2024 par la presse. Plusieurs fois les sénateurs en audition s’étonnent du non-déclenchement, avant fin 2022 par une ARS, de l’« article 40 », qui prévoit que toute autorité ayant connaissance d’un crime ou un délit doit en informer la justice.

Le dossier se poursuit au fil des changements de ministres. « J’ai été estomaqué d’apprendre qu’une grande entreprise internationale avait pu tromper ainsi » a confié Roland Lescure, successeur d’Agnès Pannier-Runacher au portefeuille de l’Industrie. Il y avait un « consensus » interministériel sur l’absence de risque sanitaire, a ajouté Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée puis ministre de la Santé de 2022 à 2024.

Le gouvernement s’accorde finalement début 2023 sur la fermeture d’un forage d’Hépar trop souvent contaminé, et l’accompagnement du plan de transformation de Nestlé Waters par les préfectures et ARS, notamment sur la microfiltration, alors que son caractère désinfectant fait débat et que le directeur général de la santé s’y oppose.

• Enjeux économiques locaux

Auditionné par la commission, Nestlé a défendu avoir toujours eu à cœur la sécurité des consommateurs, mais a refusé de dire quand et par qui ces traitements avaient été installés. Selon un rapport de la DGCCRF cité par Mediapart, la fraude dans les Vosges aurait rapporté trois milliards d’euros à Nestlé en plusieurs décennies.

La semaine dernière, le préfet du Gard, un département dans lequel Nestlé exploite plusieurs forages à Vergèze pour Perrier, a ordonné de retirer sous deux mois le système de microfiltration. Il doit dans les trois mois renouveler ou non l’autorisation d’exploitation du groupe. L’enjeu se situe avant tout sur le plan économique, et pour le millier d’employés de l’usine de Vergèze, où l’eau est captée, et leurs familles, dans un département où l’emploi se fait rare.

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