Un pesticide dans des colliers anti-puces pour chats et chiens ? La curieuse défense de Genevard
POLITIQUE – Au lendemain des trompettes entourant la victoire de Bruno Retailleau à la tête de LR, cette discrète intervention d’Annie Genevard, ministre de l’Agriculture est presque passée inaperçue. Interrogée ce lundi 19 mai, sur franceinfo, elle a évoqué l’arrivée prochaine de la loi Duplomb, du nom du sénateur LR Laurent Duplomb, en examen à l’Assemblée.
Ce texte prévoit notamment de faciliter le stockage d’eau et l’accès aux pesticides. Et notamment la réautorisation à titre dérogatoire de l’acétamipride, un insecticide néonicotinoïde controversé, interdit en France depuis sept ans. Autorisé ailleurs en Europe et réclamé par les filières de la betterave ou de la noisette, ce produit dénoncé par certains comme « tueur d’abeilles » suscite une très vive opposition des apiculteurs.
Annie Genevard a notamment justifié cette réintroduction en évoquant un usage domestique de cette substance dans les biocides, les insecticides domestiques : « L’acétamipride, les Français l’utilise dans tous les insecticides domestiques, dans les colliers des animaux domestiques. Et les agriculteurs ne pourraient pas l’utiliser sous des conditions très strictes ? »
L’acétamipride dans des colliers anti-puces
Effectivement l’acétamipride se trouve dans colliers anti-puces pour chats et chiens, au grand désarroi de scientifiques et des Écologistes. « Un argument absurde, tacle Philippe Grandcolas, directeur scientifique adjoint au CNRS joint par Le HuffPost. Le scandale c’est que l’on traite des animaux domestiques avec des produits hautement toxiques et perturbateurs du développement du système nerveux chez les enfants. On n’est pas censé caresser un chat traité pendant plusieurs jours – ce que personne ne fait jamais ». Manière de dire aussi qu’un usage domestique n’a rien à voir avec un usage dans les cultures en plein champ.
Les Écologistes avaient d’ailleurs proposé un amendement pour interdire dans les biocides, tous les produits dont l’usage est déjà prohibé dans l’agriculture. « On retrouve aussi dans les colliers anti-puces pour chat de l’imidaclopride interdit dans l’Union européenne pour toutes les cultures depuis 2018 », explique la députée écolo Délphine Batho, également jointe par Le HuffPost.
Des études qui ne font pas consensus sur l’absence de toxicité
Autre argument d’Annie Genevard qui en fait toussoter certains : des études montreraient que l’acétamipride ne provoque pas de « désordres » sur la mortalité et le comportement des abeilles. La ministre s’inscrit en plein dans l’argumentaire de Laurent Duplomb qui certifiait auprès de nos confrères de Libération que ni l’Anses, ni l’Efsa (son équivalent européen) n’ont montré que l’acétamipride était un produit toxique.
Une assertion très rapide pour Philippe Grandcolas : « Ce qu’ont pu dire les études, c’est que l’acétamipride est le “moins toxique, le moins pire” des néonicotinoïdes, mais c’est comme choisir la peste ou le choléra, ça reste toxique. Le principe de la molécule reste le même : tuer des insectes ». D’autant, pointe le chercheur, que les méthodes d’analyse de l’Efsa, à laquelle Annie Genevard se réfère, ont « mauvaise réputation pour des aspects réglementaire ». Il ne s’agit pas, précise le chercheur, de mettre en cause les personnes qui y travaillent.
Parmi les angles morts pointés par les opposants, la non prise en compte des effets sur les pollinisateurs sauvages, puisque l’Efsa se base sur des abeilles domestiquées, « alors qu’il existe en France près de 5 000 espèces de pollinisateurs » détaille le scientifique. Ce dernier pointe aussi le manque de données sur les effets cocktails avec d’autres substances chimiques, et les adjuvants, et la non prise en compte des effets sublétaux. Or, à cet égard, l’ANSES est particulièrement claire sur son site internet : « [Les néonicotinoïdes] ont notamment des effets sublétaux – c’est-à-dire n’entraînant pas de mortalité mais d’autres effets susceptibles de nuire à la ruche – lorsque ces espèces sont exposées à des doses d’exposition faibles pendant de longues périodes ».
Toujours auprès de nos confrères de Libération, Jean-Marc Bonmatin, chimiste et chercheur au CNRS, ajoute que des néonicotinoïdes, l’acétamipride est « celui qui pose le plus de problèmes actuellement pour la santé humaine, car il génère une substance organique qui réside et persiste dans le corps » et entraîne, entre autres, des problèmes de neurodéveloppement chez le fœtus.
« Le gouvernement se tire une balle dans le pied »
L’arrivée du texte à l’Assemblée nationale promet des débats enflammés, en raison de la pression de la FNSEA en faveur du texte avec des actions coups de poing cette semaine, mais aussi parce que politiquement il ne fait pas du tout l’unanimité y compris au sein du gouvernement. Le cabinet de la ministre de l’Écologie, Agnès Pannier-Runacher, rappelle à cet égard « son opposition constante » à la réautorisation de l’acétamipride, qu’elle décrivait comme une « fausse solution ».
Delphine Batho voit de son côté dans ce texte « la patte de l’industrie agrochimique qui n’a pas besoin des pollinisateurs », à l’instar de la betterave et des noisettes, mais au contraire de bien d’autres comme les tomates ou le colza. « Ce texte va tuer des filières pour en sauver d’autres. Le gouvernement se tire une balle dans le pied car il crée un problème qui ne répond pas aux deux principaux enjeux actuels : le salaire des agriculteurs et la concurrence déloyale internationale », abonde la députée en insistant sur l’existence de substitut à l’acétamipride.
Philippe Grandcolas y voit lui « un cheval de troie » pour déréguler de manière plus large l’usage des pesticides en France : « La FNSEA ne s’est pas subitement mise à rouler pour la filière noisette ». De quoi, sans doute tempérer l’engouement d’Annie Genevard qui appelait à « ramener un peu de raison dans ce débat ».
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