Pourquoi le rapport sur les Frères musulmans suscite des critiques à gauche
POLITIQUE – Une fois n’est pas coutume (non), l’islam et les musulmans se retrouvent au cœur de l’actualité. Si le rapport remis ce mercredi 21 mai à Emmanuel Macron porte explicitement sur « l’islamisme politique » et le rôle des Frères musulmans en France, le débat a rapidement tourné sur « l’entrisme » de la religion dans différentes couches de la société, au point que l’association Musulmans de France a dénoncé « des amalgames, même involontaires, entre islam, islamisme politique et radicalité ».
Un Conseil de défense a été organisé dans la matinée autour du chef de l’État, avec l’objectif d’aboutir à des propositions dans les prochaines semaines. Concrètement, il est fait état d’une « menace pour la cohésion nationale », nourrie selon les rapporteurs du texte par le développement d’un islamisme « par le bas ».
La droite et l’extrême droite se sont empressées de dérouler leurs habituels arguments sur le sujet, Jordan Bardella considérant par exemple qu’il faut « interdire les Frères musulmans » et les déclarer comme « organisation terroriste ». À gauche en revanche, le rapport est vivement critiqué, sur le fond comme sur la forme.
Jean-Luc Mélenchon a ainsi jugé bon « d’alerter », estimant que « l’islamophobie franchit un seuil ». « Un Conseil de défense autour du Président accrédite les thèses délirantes de Retailleau et de Le Pen. Ça suffit ! Vous allez détruire notre pays », craint-il sur les réseaux sociaux. Il affirme que « ce genre de méthodes a déjà été appliqué dans le passé », notamment contre les protestants et les juifs, et regrette que « cela conduise tout droit à un déchaînement d’inquisitions cruelles contre les personnes et désastreuses pour l’unité du pays ».
« Fantasmes complotistes »
À La France insoumise, de nombreuses voix s’élèvent aussi pour déplorer le climat alimenté par la remise du rapport, et l’instrumentalisation politique qui en est faite. Le député de Seine-Saint-Denis Thomas Portes regrette l’allumage « d’une nouvelle mèche islamophobe » et refuse que « les musulmans de France soient désignés comme les ennemis de l’intérieur ».
« Il y a une volonté systématique de suspecter les musulmans avec des fantasmes complotistes », acquiesce le député du Vaucluse Raphaël Arnault. Il appelle à ne pas exagérer la place occupée par les Frères musulmans dans la société, rappelant qu’ils n’ont « pas d’élus, pas de députés, pas de sénateurs ». Sur LCI, l’ancien porte-parole de l’organisation antifasciste La Jeune Garde reconnaît toutefois « qu’il peut y avoir des éléments contraires à l’idée qu’on se fait de la République, de la laïcité, comme dans toute religion. On doit y porter de l’attention et le combattre si nécessaire ».
Des problèmes de méthodologie ?
Chez les Écologistes, la députée de Paris Sandrine Rousseau se dit « effrayée de ce qui est en train de se passer ». Elle n’a pas non plus apprécié la façon dont le rapport est présenté dans le débat public et récuse l’idée selon laquelle il existerait « des ennemis de l’intérieur ». Tout au plus, concède-t-elle, « des gens malintentionnés » dont il ne faudrait pas faire une généralité. « Ce n’est pas en stigmatisant une catégorie de la population qu’on les combat, c’est en réaffirmant que nous sommes une République universaliste », assume l’élue sur BFMTV.
Voilà pour le fond. Mais la façon dont le rapport a été mené a aussi suscité des critiques. L’ancien rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité Nicolas Cadène, candidat de la Nupes puis du NFP aux élections législatives, regrette pour sa part « la méthodologie peu rigoureuse, les évidences, les amalgames, le simplisme et les paraphrases d’idées anciennes » contenues selon lui dans la brochure remise au Président de la République. Regrettant que, dans sa forme actuelle, le rapport ne propose aucune donnée chiffrée, l’intéressé pointe un document qui ne révèle rien de ce que les spécialistes savaient déjà : « À l’inverse de ce qu’on lit ou entend, rien n’est surprenant dans ce rapport, sauf à n’avoir jamais rien suivi au sujet ».