Le port du voile (et son interdiction), symbole de la lente dérive du macronisme
POLITIQUE – Itinéraire d’un glissement. Gabriel Attal a surpris son monde, mardi 20 mai, en faisant savoir à la presse que son parti allait défendre l’interdiction du port du voile pour les mineurs de moins de 15 ans. Une proposition formulée alors que le gouvernement s’empare d’un rapport très attendu sur les dangers de « l’entrisme » des Frères musulmans.
Selon les premiers éléments de langage, Renaissance veut effectivement cette prohibition car le port du voile chez les moins de 15 ans « porte gravement atteinte à l’égalité homme femmes et à la protection de l’enfance. » Pour y parvenir, le mouvement souhaite donc instaurer entre autres « un délit de contrainte au port du voile contre les parents qui contraindraient leurs jeunes filles mineures. »
À peine formulée, l’idée suscite de nombreuses critiques dans la classe politique. À gauche, où l’on déplore avec force un dévoiement du principe de laïcité, mais également dans le « bloc central », où plusieurs élus LR et Horizons affichent leur scepticisme. De fait, cette proposition tranche avec les positions défendues par le parti, et par son fondateur Emmanuel Macron, ces dernières années.
Une position marginale en 2021
En réalité, certains se sont déjà risqués à investir ce sujet précis, et ils ont eu des problèmes. C’était Aurore Bergé et Jean-Baptise Moreau, en 2021, lors des débats sur la loi dite « séparatisme. » Les deux, alors députés LREM, avaient suscité la colère de leurs collègues en signant, seuls, des amendements visant à interdire le port du voile pour les « fillettes. » Ceci, à travers le même dispositif aujourd’hui défendu par la direction du parti.
À l’époque, l’état-major du parti macroniste n’avait pas hésité à battre en brèche cette initiative, portée contre l’avis du Premier ministre Jean Castex et surtout d’Emmanuel Macron. « C’est de la surenchère politicienne », fustigeait par exemple le chiraquien Hugues Renson, vice-président (LREM) de l’Assemblée, à l’unisson notamment du chef de groupe de l’époque Christophe Castaner, et des huiles du parti.
Il faut dire qu’à ce moment-là, Emmanuel Macron prenait grand soin de ne stigmatiser personne et de ne pas transformer le texte « séparatisme » en un texte anti-islam. « J’ai déçu ceux qui attendaient des caricatures dans un sens ou dans l’autre. Je l’assume. On n’administre pas des consciences. On gouverne un pays, on engage des citoyens », avait-il par exemple expliqué lors d’un discours remarqué au Mureaux (Yvelines), fustigeant autant le rôle de la République dans « la ghettoïsation » de certains territoires, que l’offensive politique des islamistes.
Une ligne de crête originelle en macronie, entre lutte (coercitive) contre l’islamisme radical et volonté de faire advenir un nouveau discours républicain. Dès la campagne présidentielle de 2017, le candidat Emmanuel Macron expliquait dans son programme ne pas vouloir, par exemple, interdire le voile à l’université, avant, en 2022, de s’en prendre à Marine Le Pen et sa volonté d’interdire le voile dans l’espace public.
Quand Macron refusait de « diviser le pays »
« Je suis pour la loi de 1905. La laïcité ce n’est pas combattre une religion. Donc avec moi, il n’y aura pas d’interdiction du foulard, de la kippa, ni de n’importe quel autre signe religieux dans l’espace public », avait-il affirmé lors du débat d’entre-deux tours face à Marine Le Pen, en pointant du doigt une logique propre à « diviser le pays », qui « n’est pas notre histoire, n’est pas la République, n’est même pas notre Constitution. »
Huit ans après l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, la ligne dure (qui a toujours suscité des crispations dans le parti présidentiel, notamment sur les sujets de laïcité) semble donc l’avoir emporté dans le giron du nouveau chef Gabriel Attal. Comme le témoin du lent glissement idéologique de ce camp, vers la droite et la droite radicale, également visible sur d’autres sujets. Au mépris, ici, du principe de réalité ?
L’interdiction du voile, même limitée aux mineurs, n’est pas si simple. Il faut pour cela justifier des impératifs d’ordre public, selon plusieurs décisions du Conseil constitutionnel, sans quoi la mesure peut être jugée comme disproportionnée au regard de la liberté de conscience. Quant au « délit de contrainte », évoqué par l’entourage de Gabriel Attal… Il semble être déjà prévu dans le code pénal, à l’article 225-4-10.
Sur le fond, le fameux rapport qui fait naître tous ces débats aujourd’hui propose, plus que des mesures coercitives portant sur les individus, la naissance d’un « contre-discours » face à l’islamisme. Ceci, grâce notamment à plusieurs « signaux forts », comme « la réglementation funéraire » pour faciliter les carrés confessionnels, ou « l’apprentissage de l’arabe » à l’école. Soit, peu ou prou, la même logique que celle d’Emmanuel Macron aux Mureaux en 2021. Glissera-t-il, lui aussi, trois ans plus tard ?
À voir également sur Le HuffPost :
La lecture de ce contenu est susceptible d’entraîner un dépôt de cookies de la part de l’opérateur tiers qui l’héberge. Compte-tenu des choix que vous avez exprimés en matière de dépôt de cookies, nous avons bloqué l’affichage de ce contenu. Si vous souhaitez y accéder, vous devez accepter la catégorie de cookies “Contenus tiers” en cliquant sur le bouton ci-dessous.