Politique

Comment le triomphe de Retailleau chez LR agace (et agite) la Macronie

POLITIQUE – Avec une magnitude à 75 (%), le séisme Retailleau pouvait difficilement rester sans répliques : elles n’ont pas mis longtemps à secouer la classe politique en général, la Macronie en particulier. Avec des conséquences jusqu’au plus haut sommet de l’État.

Il y a d’abord eu la sortie « maladroite » de Sophie Primas, la porte-parole (LR) du gouvernement, qui prononçait dès mardi l’acte de décès anticipé du macronisme, deux jours après la victoire sans appel de son champion à la tête de LR sur Laurent Wauquiez. Un triomphalisme particulièrement agaçant pour le parti présidentiel, et contre lequel plusieurs ministres ont pris la plume pour étriller leur collègue en public.

Une première réplique spectaculaire, suivie de plusieurs autres, avec comme toile de fond le rapport très attendu de deux hauts fonctionnaires sur le phénomène « d’entrisme » des Frères musulmans. Le texte de 74 pages est devenu le terrain d’une lutte d’influence serrée entre le président de la République et Bruno Retailleau.

La colère de Macron

Illustration par la colère. Emmanuel Macron a effectivement cru bon de rappeler au gouvernement qui était le patron à ses yeux sur les enjeux de sécurité nationale, mercredi. Il a donc piqué une colère froide lors d’un conseil de défense et de sécurité consacré au fameux rapport, en reprochant à son auditoire un manque de sérieux, et au ministre de l’Intérieur l’instrumentalisation de conclusions pas encore rendues publiques.

Il faut dire que le chef de l’État a découvert furieux les bribes du rapport publiées dans les colonnes du Figaro, mardi, vingt-quatre heures avant la tenue de cette réunion au sommet. Des morceaux choisis, pour un rendu forcément partiel (et partial). Il n’a semble-t-il pas davantage goûté les différentes déclarations du locataire de la Place Beauvau qui utilise ce rapport depuis son arrivée au gouvernement pour dramatiser les enjeux autour des Frères musulmans. Le tout, sans réel travail de fond, à en croire le remontage de bretelles élyséen.

« Sur un sujet aussi grave, il faut faire les choses dans l’ordre », a notamment fulminé le président de la République, avant que des participants confirment dans la presse une ambiance « pesante, très tendue. » De fait, le communiqué officiel publié par le palais dans la foulée n’est guère plus chaleureux : « Compte tenu de l’importance du sujet et de la gravité des faits établis, (le président) a demandé au gouvernement de formuler de nouvelles propositions. » Merci, donc, de revoir vos copies.

Un tableau comme les autres dans la galerie des colères présidentielles ? Certes, Emmanuel Macron a pris l’habitude depuis son arrivée à l’Élysée de fustiger ses ministres (et de le faire savoir à la presse), pour mieux se mettre en surplomb. Il n’empêche, cette scène est aujourd’hui singulière entre le nouvel homme fort de la droite et le premier des macronistes, par essence, en ce qu’elle effleure les prémices d’un rapport de force complexe.

Déjà le bras de fer avec Retailleau ?

Dans ce contexte, la réunion organisée en urgence mardi après-midi par deux très proches conseillers du chef de l’État, après les fuites dans Le Figaro, n’est pas anodine. L’objet de ces échanges avec la presse ? Convaincre les journalistes du volontarisme d’Emmanuel Macron sur ces sujets. Faire passer l’idée, en somme, que le chef de l’État n’a pas attendu les déclarations à l’emporte-pièce du ministre de l’Intérieur (gonflé à bloc par son nouveau statut) pour lutter contre l’islamisme radical. Version « séparatisme » (2021), ou « entrisme » (2025).

De quoi fermer le ban, pour un temps ? Pas sûr. Loin de baisser les armes, le ministre de l’Intérieur se dit « surpris », ce jeudi, par la remontrance du locataire de l’Élysée. « J’ai proposé de nombreuses mesures. Et je continuerai à le faire », insiste-t-il auprès de TF1. Des idées qu’il formule d’ailleurs dans Le Parisien, lendemain du courroux, en Une et en pleine page. Comme si cela ne suffisait, son entourage en remet une couche auprès de l’AFP, en assurant que « les propositions du ministère de l’Intérieur ont été travaillées avec l’Élysée ». En clair, sans le langage policé de Bruno Retailleau : le bras de fer commence.

Dans cette lutte, Emmanuel Macron aura fort à faire pour convaincre de sa logique « sans naïveté, ni amalgame. » Car le nouveau président LR n’est pas seul à faire feu de tout bois ce printemps. Plusieurs dirigeants macronistes, sans doute attentifs à la victoire de l’ancien sénateur (et sa ligne très conservatrice), puis à sa percée dans les sondages, rapprochent leur position de la droite, parfois radicale. Tant pis en l’espèce si le rapport n’est pas aussi alarmant que ce que Bruno Retailleau veut bien dire.

Ainsi, comment comprendre autrement la sortie de Gabriel Attal et de l’état-major de Renaissance sur l’interdiction du voile pour les mineures de moins de 15 ans ? Une proposition formulée mercredi matin, quelques heures avant la tenue du conseil de défense, et qui tranche avec ce qu’Emmanuel Macron a toujours défendu à l’Élysée. Ou le signe que l’élection du Vendéen n’est pas sans conséquence sur le parti présidentiel.

« On donne le sentiment que l’on réfléchit sans nuance, comme les autres »

« Dérangée » par le timing de cette proposition, l’ancienne ministre Renaissance Nadia Hai (membre du bureau exécutif du parti) évoque ainsi au HuffPost la volonté de ne pas laisser ce terrain à d’autres : la direction voulait « marquer d’une empreinte le fait que Renaissance réfléchit aussi à ces sujets, et s’attaque à cette problématique. »

Reste que cette sortie prématurée « donne le sentiment que l’on réfléchit sans nuance, comme les autres, que l’on prend le sujet de l’entrisme par le petit bout, alors que notre réflexion est bien plus profonde », regrette-t-elle, en soutenant la mesure sur le fond. Laquelle doit s’inscrire dans un « projet d’ensemble » et des « réponses sérieuses pour lutter à la fois contre l’islamisme et la haine contre les musulmans ». D’autres au sein du parti présidentiel fustigent en off « les droitards » qui, en coulisses, « ont fait dériver Attal de plus en plus à droite jusqu’à sa proposition antirépublicaine ». Ambiance.

À ce jeu du « petit bout », on peut aussi citer la dernière proposition de Gérald Darmanin… Pas franchement appréciée du côté de l’Élysée, à en croire des récits de presse confirmés au HuffPost. Le ministre de la Justice a effectivement choisi le jour même de l’élection de Bruno Retailleau pour annoncer la création d’une prison, avec quartier de haute sécurité, en Guyane. Le tout dans l’hebdomadaire d’extrême droite Le Journal du Dimanche qui ne se prive pas, dans son édition, de faire de multiples références au bagne de Cayenne.

Selon nos informations, le recadrage du chef de l’État sur le manque de sérieux de ses ministres concernait également Gérald Darmanin, et par ricochet Gabriel Attal, en plus de Bruno Retailleau. « Je reconnais bien le président, soucieux de réponses complètes et efficaces », fait remarquer Nadia Hai. Soucieux aussi de rappeler que le macronisme n’est pas tout à fait mort, malgré les séismes à répétition, dont l’épicentre du dernier se situe à quelques mètres de l’Élysée, place Beauvau.

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