Culture

À Cannes, ce docu sur Julian Assange fait surtout le portrait d’une Amérique dangereuse

FESTIVAL DE CANNES – L’histoire a de quoi inspirer un thriller hollywoodien. Ça a d’ailleurs déjà été fait en 2013 avec Le Cinquième pouvoir. Mais c’est un travail d’archives au plus proche de la vérité qu’a choisi d’entreprendre Eugene Jarecki. The Six Billion Dollar Man, le documentaire sur Julian Assange et WikiLeaks, a été présenté en séance spéciale au Festival de Cannes, en présence du lanceur d’alerte australien récemment libéré.

Le gouvernement américain est un personnage aussi important que « l’homme qui valait six milliards de dollars », prix du prêt accordé à l’Équateur en échange de la fin de l’asile politique d’Assange. Quand on regarde la filmographie d’Eugene Jarecki, ce n’est pas étonnant. Le réalisateur américain a fait des États-Unis son sujet de prédilection.

Le Procès de Henry Kissinger revenait sur les accusations de crime de guerre au Vietnam envers l’ancien secrétaire d’État, Why we fight sur le complexe militaro-industriel, Les États-Unis et la drogue – Une guerre sans fin sur l’échec de la politique de lutte contre les stupéfiants et The King suivait la chute du rêve américain à travers la figure d’Elvis Presley. Avec The Six Billion Dollar Man, il s’attaque à un autre sujet de taille : l’information.

Chronologiquement et de façon presque chirurgicale, le documentaire revient sur l’ascension de WikiLeaks, ses révélations, le mandat d’arrêt suédois pour délit sexuel contre Julian Assange, la fuite des câbles diplomatiques américains non censurés mettant les sources en danger, son asile de sept ans dans la minuscule ambassade d’Équateur à Londres, son arrestation le 11 avril 2019 et ses conditions de détention jusqu’à sa libération en juin 2024 suite à un accord de plaider coupable.

Une galerie de témoignages

On entend finalement assez peu parler Julian Assange, au profit de témoins clés : Jennifer Robinson, l’avocate historique de WikiLeaks, Stella Assange également avocate et désormais sa femme et mère de leurs enfants, plusieurs journalistes de WikiLeaks et d’autres médias (Der Spiegel, The Financial Times), Nils Melzer l’ex rapporteur des Nations Unies sur la torture, Pamela Anderson admiratrice et visiteuse régulière d’Assange, ou encore le lanceur d’alerte Edward Snowden.

D’autres interviews sont plus surprenantes. Un ancien employé d’UC Global, la société de sécurité chargée de surveiller Assange à l’ambassade, raconte anonymement la quantité d’informations privées auxquelles ils avaient accès.

Sigurdur Thordarson, dit Siggi, est interrogé à visage découvert dans des séquences qui mettent mal à l’aise. L’ancien hacker islandais de WikiLeaks, devenu taupe du FBI après avoir détourné 50 000 dollars, admet avoir menti pour appuyer la demande d’extradition des États-Unis et s’amuse même de ses condamnations pour délits sexuels dont celles sur des mineurs. À travers ce personnage, décrit comme un « sociopathe » dans une expertise psychiatrique, on comprend mieux jusqu’où le gouvernement américain était prêt à aller pour stopper Julian Assange.

Les États-Unis d’hier et d’aujourd’hui

Car les États-Unis sont montrés comme le vrai méchant de l’histoire. De Bush à Trump, en passant par Obama et Biden, The Six Billion Dollar Man illustre les mensonges de la première puissance militaire mondiale. Le documentaire rejoue les grandes révélations de WikiLeaks — la vidéo de soldats américains tirant en riant sur des civils et des journalistes à Bagdad, les rapports classifiés sur le nombre de civils tués et la pratique de la torture en Irak et en Afghanistan, les outils de piratage informatique compromettants de la CIA ou encore les mails du parti démocrate pendant la primaire entre Hillary Clinton et Bernie Sanders.

Eugene Jarecki met surtout l’accent sur les méthodes employées par les présidents américains, notamment Donald Trump, pour extrader Julian Assange et censurer le droit à l’information sous couvert de sécurité nationale. Ses « vous êtes l’ennemi du peuple » adressé aux médias ponctuent le récit d’un pays où la liberté de la presse recule de façon inquiétante.

Des détails clés et moins médiatisés soulignent à quel point l’actuel président dirige le pays par l’argent. En 2017, il avait offert de gracier Assange s’il exposait une source du parti démocrate, ce qu’il a refusé. Fait moins connu : la relation entre Sheldon Adelson, grand patron de la chaîne de casinos Las Vegas Sands et proche de Donald Trump, et la surveillance renforcée d’Assange à l’ambassade par UC Global, virant au harcèlement.

Assange, ni héros ni martyr

Face aux États-Unis comme antagoniste, le documentaire ne fait pas pour autant de Julian Assange un héros. D’anciens employés le disent prétentieux, égocentrique et parano. Bien qu’elles n’aient pas souhaité l’accuser de viols, les deux femmes avec qui il a eu des rapports non consentis, car non protégés, en Suède témoignent à visage couvert qu’il s’est emporté et leur a refusé un simple test de dépistage. Même Edward Snowden admet qu’il n’est « pas un ange ».

Dans les notes de production, le réalisateur insiste qu’il « ne s’agit pas d’un film sur l’activisme ou le martyre. Il s’agit de ce qui arrive lorsque quelqu’un menace ceux qui sont au centre du pouvoir mondial. Qu’on l’aime ou non, c’est ce qu’a fait Assange ».

Aujourd’hui plus que jamais, Eugene Jarecki rappelle l’importance de la mission de WikiLeaks et de la presse libre. Tel Prométhée, puni pour avoir volé le feu sacré des dieux de l’Olympe et donné aux humains, Julian Assange est finalement le simple porteur d’une flamme en grand danger de s’éteindre. The Six Billion Dollar Man n’a pas encore de date de sortie au cinéma mais devrait, malheureusement, encore rester d’actualité.

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