Politique

« C’est catastrophique » : Darmanin et Retailleau piégés par leurs excès de communication

POLITIQUE – Encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots. Bruno Retailleau et Gérald Darmanin, à sa manière, font feu de tout bois après les violences commises ce week-end en marge de la victoire du Paris Saint-Germain en finale de la ligue des champions. Le premier tance les « barbares » et leur « sauvagerie. » Le second pousse une modification de l’échelle des peines.

Les points communs ne s’arrêtent pas là. Depuis l’automne, les deux ministres capitalisent sur leur présence au gouvernement pour rester dans l’atmosphère médiatique, et préparer pas à pas la course électorale de 2027. Ceci, à grand renfort de propos chocs ou de ballons d’essai peu suivi d’effets. Cela vous rappelle quelque chose ?

Il s’agit peu ou prou de la stratégie de Nicolas Sarkozy, en 2005. Ministre de l’Intérieur de Dominique de Villepin, sous Jacques Chirac, promoteur du « Kärcher » contre les « racailles », il avait réussi à s’imposer dans le débat public avant de devenir l’homme fort incontournable du mouvement gaulliste pour viser l’Élysée. Problème, pour les deux aspirants : les temps ont changé.

« Hystériser les hystériques »

De fait, ils n’ont pas les coudées aussi franches que l’ancien président de la République à l’époque, lequel pouvait compter sur une majorité stable (UMP) à l’Assemblée nationale quand il était le « premier flic de France. » Or, « pour réussir quand on est ministre, il faut du temps, un Parlement et de l’argent », selon le triptyque de Gérald Darmanin mi-mai sur RTL. Tout ce dont ils ne disposent pas, reconnaissait le même.

Alors que reste-t-il au duo des remuants ? Des coups de menton, parfois, des effets d’annonce, surtout, grâce à une surface médiatique décuplée depuis les ministères. « Nous sommes dans le royaume de la parole, de la communication, avec des mots qui ne débouchent sur rien, à part hystériser les hystériques », résume auprès du HuffPost un fin connaisseur de la vie politique, nostalgique des personnalités de droite qui « réfléchissaient dans l’empire de l’action, prenaient leurs responsabilités et proposaient une offre politique. »

Du côté de Gérald Darmanin, par exemple, on ne compte plus les initiatives perdues dans la nature, de la création d’une prison de haute sécurité en Guyane (qu’il a été contraint de préciser), à la question de l’argent liquide pour endiguer les narcotrafics, en passant par le paiement, par les détenus, de leurs frais d’incarcération ou la fin de certaines activités en prison.

Bruno Retailleau, de son côté, rythme le débat en affichant son volontarisme à toute épreuve, et en réagissant, à chaud, aux crimes ou fait de violence avec les mêmes mots pour chaque circonstance. Illustration récente avec la vague d’exactions qui a suivi la victoire de Paris en ligue des champions. L’œuvre de « barbares », selon le ministre, qui profitent « d’une société qui a déconstruit tous les cadres communs. »

« Être ministre, ce n’est pas tweeter des éléments marketing »

L’analyse était similaire, en tout point, quand il s’est déplacé à Nantes fin avril, après le meurtre d’une lycéenne par un de ses camarades, ou quand il dénonçait quelques jours plus tard l’attaque d’un pompier lors d’un « rodéo urbain » en Haute-Savoie. Chaque fois, la « société laxiste » en prend pour son grade, mais les actions concrètes, elles, se font toujours attendre. Avec un risque majeur : nourrir le décalage entre les paroles et l’action publique. « C’est catastrophique, car à la fin les gens ne croient plus personne, les gens n’ont plus confiance dans les institutions », souligne ainsi notre source, compagnon de route de la droite, pour qui ce genre de désaffection « ne finit pas bien en général. »

Rien d’anodin, donc, à voir les contempteurs du gouvernement, notamment de Bruno Retailleau, utiliser ce hiatus à l’envi. À l’extrême droite, où l’on critique « un ministre de la parole » bien plus que de l’action et à gauche, où l’on soupçonne le président des Républicains de ne réagir promptement qu’aux faits qui servent son agenda idéologique. Un écueil, parmi d’autres, quand on essaie de construire sa stature à grand renfort de déclarations, mais sans réel bilan.

Même au sein du socle commun, cette logique d’estrade commence à provoquer des crispations. « Être ministre, ce n’est pas tweeter des éléments marketing, ce n’est pas monter à la tribune et faire de grandes palabres, ce n’est pas utiliser son fauteuil pour faire campagne pour 2027 », éreinte par exemple la députée Renaissance Prisca Thevenot, en pointant du doigt le rôle du président LR ces dernières heures.

« Il est étonnant de voir Bruno Retailleau nous expliquer qu’il serait capable de démissionner à cause de la proportionnelle, alors même que Paris était à feu et à sang il y a encore deux jours », souffle cette proche de Gabriel Attal. « Nos forces de l’ordre ont été mises en danger. Il est important qu’il fasse la lumière sur ce qui s’est passé », insiste-t-elle, en lui demandant de ne pas se cacher derrière François Bayrou ou Emmanuel Macron : « C’est trop facile de dire qu’il est empêché, alors qu’il a les mains libres. »