Politique

Ce que Darmanin oublie de dire dans son offensive sur les peines

POLITIQUE – L’occasion fait la larron. Alors que le sacre du PSG ce samedi 31 mai a été émaillé par des violences et des pillages, le ministre de la Justice, Gérald Darmanin s’est ému ce mardi 3 juin qu’« une partie des condamnations pour violences (…) ne sont plus à la hauteur de la violence que connaît notre pays ».

Si le garde des Sceaux a immédiatement redit sa confiance aux magistrats, s’évitant ainsi la critique, il énumère également plusieurs propositions : suppression des aménagements de peine obligatoires, suppression du sursis et mise en place par la loi d’une condamnation minimum systématique une fois la culpabilité reconnue.

Cette dernière proposition, qui a d’ailleurs reçu le soutien de François Bayrou, s’appliquerait dès la première infraction, contrairement à la peine plancher qui s’applique en récidive. Et Gérald Darmanin de donner en exemple, « trois mois de prison ferme (réellement exécutés) minimum pour toute agression envers un représentant de l’État ».

De quoi pousser un peu plus sa grande réforme de la Justice qu’il souhaite mettre en place et dont il a dévoilé les contours dans une lettre diffusée mi-mai, mais aussi d’interroger certains parlementaires tant les propositions du garde des Sceaux font écho à des propositions de loi qu’ils portent ou ont porté.

Un « double discours » de l’exécutif.

Parmi les premiers étonnés, le député Horizons Loïc Kervran, qui sur X, appelle à cesser « les grands discours » et assure qu’une proposition de loi qu’il porte permet en partie de répondre rapidement aux impératifs soulevés par Gérald Darmanin. Ce texte a été adopté en première lecture à l’Assemblée en octobre, est passé en commission au Sénat en avril, mais stagne depuis.

« Je vois Bruno Retailleau et Gérald Darmanin dire qu’il faut exécuter les peines et mettre un terme à l’aménagement des peines, mon texte propose de répondre à ces deux points en autorisant les peines de moins d’un mois, et en abrogeant justement les aménagements. Ça a été voté par l’Assemblée, ils sont ministres, ils peuvent inscrire ce texte à l’agenda du Sénat », observe le parlementaire contacté par Le HuffPost. Et d’évoquer tout de même un « double discours » de la part de l’exécutif : son texte n’a été appuyé que du bout des lèvres par le gouvernement avec un avis de sagesse, et boudé selon lui par Renaissance.

Si l’élu Horizons se rappelle au bon souvenir du ministre, c’est que son groupe est déjà positionné depuis un moment sur la question des peines de prison. Et n’a, jusque-là, eu guère de chance.

Le test de la PPL Moutchou

Après une première tentative en 2023, la députée Horizons Naïma Moutchou a de nouveau déposé au mois de mars un texte visant à créer une peine minimale d’un an ferme, en cas de récidive, pour des violences commises « contre ceux qui portent l’uniforme ou l’insigne ». Le texte prévu dans la niche parlementaire du groupe Horizons — et rejeté en 2023 par Renaissance et dans lequel Éric Dupond-Moretti voyait alors une « tribune offerte à l’extrême droite » – a finalement été retiré faute de temps. Mais non sans obtenir au passage le soutien théorique de Gérald Darmanin.

Et, déjà, lors des débats dans l’hémicycle, le ministre de la Justice avait annoncé vouloir réfléchir à « l’opportunité d’introduire des peines minimales dans le Code pénal », précisant alors « qu’il ne s’agit pas d’un retour aux peines planchers mais d’un autre concept utilisé dans d’autres pays ».

Gérald Darmanin avait dans la foulée fait part de son opposition à tous les amendements déposés sur le texte. Il y en a pourtant un qui aurait pu l’intéresser. En commission et dans l’hémicycle, les troupes du RN ont poussé pour la création d’une peine minimale dès la première infraction en cas de violences contre une personne portant l’uniforme. Une proposition qui, ne prenant donc plus en compte l’état de récidive, ressemble à s’y méprendre à celle formulée depuis quelques semaines par… Gérald Darmanin.

Marine Le Pen réclamait aussi la fin des aménagements de peine

Le RN a d’ailleurs tancé ce matin le garde des Sceaux, rappelant qu’en 2021 il jugeait pourtant les peines planchers pour les agresseurs de policiers récidivistes « inefficaces ». Or le dispositif de peine minimale à la première infraction apparaît comme plus dur. Surtout, il pose question au regard d’un principe constitutionnel fondamental en matière de justice : celui de l’individualisation de la peine. C’est sur la base de ce principe que les peines planchers, instaurées sous Nicolas Sarkozy, ont été supprimées en 2014.

Avec ce chambranle annoncé de la justice, et ce volontarisme en matière de fermeté, Gérald Darmanin détricoterait de fait l’un des chantiers phares d’une de ses prédécesseures macronistes. En 2019, Nicole Belloubet avait créé une nouvelle échelle des peines, rendant quasi obligatoire l’aménagement pour les condamnations entre un et six mois de prison, et supprimant les condamnations inférieures à un mois de prison. Ces dernières étant jugées désocialisantes et sans impact positif sur la récidive. Six ans plus tard, le gouvernement macroniste et ses alliés semblent dire le contraire.