Politique

D’un succès éphémère en aventure présidentielle, le défi XXL qui attend Glucksmann

POLITIQUE – L’odyssée de l’espace (politique). La course à l’élection présidentielle commence ce lundi 23 juin pour l’une des personnalités les plus en vue à gauche : Raphaël Glucksmann. Le parti qu’il a fondé en 2018, Place publique, jadis centré sur les enjeux européens, organise une conférence de presse pour présenter son tout premier « programme pour la France. »

Ce n’est pas la feuille de route de l’eurodéputé pour 2027, précise-t-on d’emblée du côté de la formation aux 11 000 adhérents. Il s’agit « d’un projet commun à la hauteur des défis démocratiques, sociaux et écologiques auxquels la France fait face. » Une vision travaillée depuis octobre par les militants et des groupes d’experts « de tous horizons. »

Voilà donc la philosophie de cet « acte 1 », « étape fondatrice et ambitieuse. » Difficile malgré tout de ne pas déceler derrière ces mots le point de départ de l’aventure Raphaël Glucksmann pour l’Élysée, à l’heure où les partis de gauche hors-LFI semblent à court d’idée et en mal d’incarnation.

« Bâtir » sur la victoire des européennes

L’eurodéputé ne fait guère mystère de ses ambitions. Depuis qu’il a expliqué son souhait « de laisser sa peau » sur 2027, puis refusé la logique d’une primaire, le voilà qui trace son sillon pour dégager un « cap clair » à la social-démocratie française.

« On doit construire une autre voie, qui soit sans compromission avec celle de Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise », expliquait-il encore sur TF1, une semaine avant la présentation du programme porté par son camp, arguant que « cette autre chose a gagné dans le match à gauche aux européennes. C’est là-dessus qu’il faut bâtir. »

C’est bien l’immense défi qui attend Raphaël Glucksmann : transformer son succès de 2024, indéniable mais très éphémère du fait de la dissolution, en aventure présidentielle crédible. Pas si simple, comme le montre le précédent Yannick Jadot, grand vainqueur (écologiste) des élections européennes 2019 (13 %) et grand perdant de la présidentielle suivante (4,5 %, en 2022).

Pour déjouer cette désillusion, la stratégie du fondateur de Place publique est limpide : Partir seul, pour protéger son électorat et construire un espace politique allant de la gauche aux déçus du macronisme. Le tout, en évitant les compromis(sions) avec la gauche radicale et la dilution des idées dans un départage interne (« un truc d’appareils qui produit une synthèse molle » et « fait peser un soupçon d’insincérité sur notre espace politique », selon ses mots). Son objectif est tout aussi clair : agréger in fine d’autres forces à lui et incarner un vote utile grâce aux sondages.

Sondages encourageants

Soit, peu ou prou, ce qu’il a réussi à faire en 2024. Rebelote, pour la grande élection ? Les voyants, pour l’heure, sont plutôt au vert. Intégré rapidement aux sondages d’intention de vote pour 2027, Raphaël Glucksmann est le seul à pouvoir prétendre rivaliser avec Jean-Luc Mélenchon, candidat naturel de la gauche sur une ligne de « rupture. » À l’instant T, 11 % des Français sont prêts à voter pour lui, contre 14 % pour l’insoumis.

La voie malgré tout n’est pas royale pour l’eurodéputé. Sa campagne victorieuse aux européennes était centrée sur des idées simples : davantage d’Europe, pour répondre notamment aux différents impérialismes, celui de la Russie en premier lieu, et des institutions tournées sur les questions sociales. Il en faudra davantage pour la présidentielle.

Concrètement, le leader de Place publique va désormais devoir se déterminer sur tous les sujets, de la réforme des retraites à la politique migratoire. Premier rendez-vous ce lundi. Défendra-t-il par exemple, un retour aux 62 ans, comme le reste de la gauche ? Ceci, alors que le seul député dans ses rangs, Aurélien Rousseau, est la cheville ouvrière de la réforme d’Élisabeth Borne ? Quel sera son discours en matière de sécurité, à l’heure où le débat public continue de se droitiser ?

Un espace pas si simple

Selon la maxime politique, on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens. C’est sans doute d’autant plus vrai quand l’électorat visé semble aussi volatil qu’hétéroclite. Un autre écueil avant l’odyssée Glucksmann.

De fait, la base qui a permis son succès en 2024 (et qu’il aimerait retrouver en cheminant vers 2027) est composée d’électeurs de gauche, dont certains se sont reportés sur sa candidature, la seule capable de rivaliser avec celle de Valérie Hayer, pour infliger une défaite au chef de l’État, et de macronistes désabusés. Ainsi, 32 % des électeurs écolos ont voté Glucksmann, comme 17 % de ceux qui avaient voté Macron à la présidentielle de 2022.

Charge donc à lui de trouver la martingale pour réunir tout ce beau monde dans un nouvel espace politique cohérent, pas franchement en vogue depuis la fin du quinquennat de François Hollande. « C’est la mystique de la social-démocratie », résume Mathieu Fulla, historien spécialiste des gauches en Europe, avec l’idée de vivifier ce grand courant de pensées, phare dans les années 1990 notamment en Scandinavie, « avec des partis de masse, enracinés dans la société, au cœur des associations, des syndicats. » Problème : « historiquement, ça n’a jamais existé en France. » Voilà la mission.