Culture

Le premier festival d’humour de Riyad cristallise bien des tensions, et pour cause

HUMOUR – « Il y a du bon et du mauvais. Mais pour moi, je pense que ça va m’aider à aller de l’avant. » Ces mots, ce sont ceux de Louis C.K. – ancienne figure de la comédie noire aux États-Unis au cœur de plusieurs polémiques – concernant sa participation au controversé festival d’humour de Riyad, qui s’est ouvert fin septembre en Arabie saoudite.

« Il y a une femme lesbienne et juive, qui a fait un spectacle là-bas. Elle y a reçu une standing ovation. Il peut se passer des choses inattendues », a assuré l’humoriste de 58 ans en référence à Jessica Kirson, ce vendredi 3 octobre, dans une interview pour le talk-show de Bill Maher, la première depuis les accusations d’exhibitionnisme, qu’il a reconnues en 2017.

D’après lui, « les gens se produisent en Arabie saoudite depuis des années ». « Les comédiens se rendent dans les pays arabes pour y faire des spectacles. Un festival du film y a récemment eu lieu, ce qui témoigne d’une certaine ouverture », estime le comédien, qui doit monter sur la scène du Riyadh Comedy Festival ce lundi 6 octobre.

David Cross dézingue ses confrères

Depuis que sa programmation – composée également de Kevin Hart, Dave Chappelle, Pete Davidson, Aziz Ansari ou encore Sugar Sammy – a été révélée au mois de juillet, le monde de l’humour s’écharpe. Les uns accusent les autres de manquer d’éthique en se produisant pour des centaines de milliers de pétrodollars dans un pays connu pour sa censure, son oppression des journalistes, des femmes et des personnes LGBT +.

« Il est clair que vous vous fichez complètement de ce que nous pensons, mais comment pourrions-nous encore vous prendre au sérieux, a fustigé la star du stand-up David Cross dans un communiqué. Vos jérémiades sur la “cancel culture”, la liberté d’expression et toutes ces conneries ? C’est fini. Vous ne pourrez plus rien dire maintenant. »

« Le type qui va les payer est le même qui a payé quelqu’un pour découper en morceaux Jamal Khashoggi (journaliste saoudo-américain assassiné en 2018, ndlr) et le mettre dans une putain de valise. Mais que cela ne vous empêche surtout pas de vous marrer, cela va être un bon moment », s’est alarmé l’acteur Marc Maron sur scène.

Une conversation « utile », selon Louis C.K.

Un point de vue partagé par l’ONG Human Rights Watch, selon qui le festival, qui doit se clôturer ce jeudi 9 octobre, est une nouvelle tentative du gouvernement saoudien de faire détourner le regard de ses actions « dans un contexte de répression croissante, notamment à l’encontre de la liberté d’expression, que bon nombre de ces humoristes défendent, mais dont les Saoudiens sont totalement privés ».

Comme le rappelle cet article du Guardian, les festivités sont en partie produites par la société Sela, une entreprise détenue par le fonds souverain saoudien et l’Autorité générale du divertissement du royaume. Cette dernière est présidée par Turki al-Sheikh, un conseiller royal accusé de violations des droits humains, notamment la détention de personnes qui le critiquent sur les réseaux sociaux.

« Je pense que toute cette conversation est très utile, admet Louis C.K.. Je suis content que ces gars aient soulevé cette question. Je suis content que les gens remettent cela en question, parce qu’il ne faut pas faire croire que c’est quelque chose que ça n’est pas. »

Bill Burr s’enthousiasme

La star de la série Louie est la dernière en date à s’exprimer sur le sujet, mais pas la première. De retour aux États-Unis, Jessica Kirson a, par exemple, expliqué « regretter profondément » d’avoir participé à l’évènement, disant ne pas avoir mesuré l’ampleur du sujet. Elle dit vouloir faire don de ses cachets à un organisme humanitaire.

Aperçu notamment dans Breaking Bad, Bill Burr a pour sa part défendu son choix, et fait part de sa joie de « découvrir cette partie du monde ». « La famille royale a adoré le spectacle, a-t-il déclaré au micro du Monday Morning Podcast. Tout le monde était content. […] Je pense que cela va déboucher sur beaucoup de choses positives » pour l’humour dans le pays.

« Ils ont des esclaves, et alors ? Ils me paient suffisamment [la somme de 375 000 dollars, ndlr] pour que je regarde de l’autre côté », avait, lui, ironisé Tim Dillon avant la tenue du Riyadh Comedy Festival. La « blague » de mauvais goût n’est pas sans avoir froissé les organisateurs, qui l’ont retiré de la programmation dans la foulée.

L’interdiction des contenus « dégradant »

Son retrait pose bien des questions, dont une en particulier. De quoi les artistes invités sont-ils autorisés à parler, ou non ? D’un côté, Louis C.K. explique qu’on lui a demandé ne pas rire du gouvernement ou de la religion dominante, deux thèmes sur lesquels il n’a de toute façon « aucune plaisanterie » en stock, selon lui.

De l’autre, la comédienne nippo-taïwanaise-américaine Atsuko Okatsuka, qui a refusé la proposition, avance qu’il était interdit d’interpréter « un contenu pouvant être considéré comme dégradant, diffamatoire, ou susceptible de jeter le discrédit public, le mépris, le scandale, l’embarras ou le ridicule sur le royaume d’Arabie saoudite, la famille royale saoudienne ou toute religion ».

Et dans les faits ? Si la BBC affirme qu’elle n’a pas été en mesure de vérifier l’existence d’un tel contrat, des témoignages de spectateurs récoltés sur place par le radiodiffuseur britannique font état de passages « offensants » ou « gênants ». À titre d’exemple, Bill Burr a parlé pendant dix minutes de sexe, et Omid Djalili multiplié les vannes sur les gays et les personnes trans.