Avec le budget 2026, le RN accélère (dans le flou) son tournant libéral
POLITIQUE – « Ni light, ni hard, ni rien du tout ». Marine Le Pen a définitivement claqué la porte ce mardi 28 octobre à la taxe Zucman « light » proposée par les socialistes dans le cadre du budget 2026. Faut-il y voir un changement de pied de la part du parti présidé par un Jordan Bardella soucieux de séduire le monde patronal ?
En février dernier, alors que les écologistes avaient mis dans leur niche fiscale l’instauration d’une taxe Zucman dans sa forme la plus sévère, les élus du Rassemblement national s’étaient pourtant abstenus, permettant de fait son adoption en première lecture.
En réalité, les dix mois à peine qui séparent ces deux séquences illustrent la manière dont le RN entend riposter aux accusations en « gauchisme économique », en tentant de muscler sa jambe libérale. D’autant que le second mandat de Donald Trump aux États-Unis montre qu’il y a bien une voix de passage vers un national-populisme libéral et protectionniste, auquel les grandes entreprises sont susceptibles de souscrire.
Des gages aux entreprises
Comme l’année dernière, dans le cadre des discussions budgétaires, le parti lepéniste est particulièrement désireux de montrer patte blanche aux entreprises. Ce lundi, ses troupes ont voté contre l’article 4 qui prolonge la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises à hauteur de 6 milliards d’euros (contre 8 milliards l’an passé). Sur la CVAE, un impôt de production, le gouvernement proposait une suppression progressive. À la tribune, la députée RN Edwige Diaz a défendu une suppression pure et simple dès le 1er janvier 2026. Pas question d’ailleurs de revenir sur la politique actuelle en matière d’exonérations de cotisations, ni celle sur les aides aux entreprises.
Si Marine Le Pen avait dénoncé la suppression de l’impôt sur la fortune (5 milliards de recettes par an) lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, elle n’entend guère le remettre en place et préfère le remplacer par un impôt sur la fortune financière. Sauf que le dispositif, pour lequel le RN prévoit un rendement de 3 milliards, est mité de nombreuses exonérations. Enfin, si le parti d’extrême droite entend taxer la rente et la spéculation, pas question de toucher à la flat tax et ses 30 %, d’imposition des revenus du capital. Un taux particulièrement avantageux par rapport au barème de l’impôt sur le revenu.
Une foultitude de propositions qui masquent mal en réalité les interrogations que suscitent en contraste les grands équilibres (surgonflés) de ce contre-budget. Le RN entend par exemple faire 25 milliards d’euros d’économies sur l’immigration, 7 milliards sur les agences de l’État, et 10 milliards en baissant la dotation française à l’UE. Peut mieux faire en matière de crédibilité, jugent les spécialistes.
Un virage politique, à dessein
Mais le budget 2026 n’est qu’un énième coup de volant alors que le RN multiplie les gages libéraux depuis des mois. Alors qu’il fustige les dogmes européens à la moindre occasion, Le HuffPost n’a pas pu s’empêcher de remarquer que sur la première page de son contre-budget, le RN mesure l’évolution de la dette publique « au sens du traité de Maastricht ». Faut-il y voir l’influence du succès – par ailleurs en demi-teinte – de la Première ministre italienne Giorgia Meloni parfaitement alignée, elle, avec l’UE en matière économique ?
Toujours est-il que le parti a désormais quasiment adoubé la règle budgétaire européenne qui limite le déficit à 3 % du PIB. Une règle d’or pourtant qualifiée de « viol démocratique » en 2012 par une certaine Marine Le Pen. En juin dernier, Jean-Philippe Tanguy, le monsieur budget du RN, a annoncé le lancement d’une grande réflexion interne autour de cette règle.
Enfin, la place de Jordan Bardella au sein de l’appareil lepéniste est à la fois l’étendard et l’incarnation parfaite de cette nouvelle ligne libérale, comme Le HuffPost l’avait analysé ici. L’eurodéputé, qui pourrait remplacer la patronne en 2027 si sa peine d’inéligibilité est confirmée en appel, s’est d’ailleurs lancé dans une opération séduction auprès des patrons en septembre lors de l’université de rentrée du Medef. Une grande première pour un chef de parti d’extrême droite.
Dans la foulée de ce rendez-vous, le chef du RN avait adressé une lettre publique aux patrons, leur promettant « un choc fiscal positif, par l’allègement massif des impôts ». Mais sans pour autant parler réforme des retraites – que le RN veut toujours abroger – et chômage. Deux totems qui continuent d’alimenter la défiance du patronat à l’égard de la formation, et qui divisent en interne. Début 2024, Jordan Bardella s’était dit « parfaitement d’accord » avec le projet gouvernemental conditionnant le versement du RSA à 15 heures d’activité. Une mesure contre laquelle s’était pourtant opposé le groupe présidé par Marine Le Pen.
Pour le RN, cette tentation libérale est une véritable une ligne de crête. Si Marine Le Pen entend percer le plafond de verre chez les cadres et les dirigeants qui la prive depuis des années d’accéder à l’Élysée, le RN a aussi à cœur de ne pas se couper de base. L’enquête Ipsos sur les fractures françaises parue fin octobre illustre le clivage avec lequel le parti lepéniste va devoir composer : au sein des sondés proches du parti, seuls 50 % adhèrent à la théorie du ruissellement ainsi résumée : « plus il y a de riches, plus cela profite à l’ensemble de la société ». Attention, virage glissant.



