Culture

On vous explique la crise qui secoue le Festival d’Angoulême si vous n’avez rien suivi

BANDE DESSINÉE – Le petit monde du 9e art va-t-il, comme le veut la tradition, se réunir fin janvier à Angoulême ? Rien est moins sûr, le glas a peut-être en réalité déjà sonné. Alors qu’une enquête de Libération affirme, ce mercredi 19 novembre, que la prochaine édition du Festival de la BD n’aura pas lieu, ses organisateurs assurent, eux, le contraire.

Dans « l’attente des évolutions » et « ouverts aux échanges », ces derniers disent espérer que « les discussions en cours pourront permettre de trouver une solution afin que se tienne l’édition 2026, dans l’intérêt même de l’écosystème de la bande dessinée et par respect pour un public de passionnés ».

Ces mots, transmis par la voie d’un communiqué, visent à tempérer une crise inédite, qui secoue actuellement le FIBD. Aux sources du problème ? L’actuel gestionnaire très contesté de l’événement : la société de Franck Bondoux 9e Art +, responsable de l’organisation du festival depuis maintenant près de vingt ans.

Pour mieux comprendre les enjeux, il faut revenir en arrière. Et plus précisément au 24 janvier dernier, date de publication d’une enquête saisissante de L’Humanité. Après des mois d’investigation, le magazine pointe du doigt une série de « dérives » mercantiles, dont un partenariat avec Quick et une proposition artistique réduite.

L’appel à « déserter Angoulême »

Au sein de 9e Art +, des dysfonctionnements internes apparaissent, à savoir une opacité financière, et de sérieuses inquiétudes dans la manière de manager. Des burn-out à répétition y sont dénoncés, ainsi que le licenciement d’une salariée après avoir porté plainte pour un viol qu’elle aurait subi pendant l’édition 2024.

Malgré un succès public, le FIBD, qui s’est ouvert quelques jours après la parution de l’article, a fait face à un début de tempête, en coulisses. Dans les stands, des éditeurs indépendants ont affiché des messages de soutien à l’ex-employée, des intervenants ont hélé le festival lors de la remise des Fauves, et le ministère de la Culture s’était même dit « particulièrement interpellé ».

Chez les bédéistes, la fronde était lancée. En avril, un appel à « déserter Angoulême » a vu le jour. Signé par une grande partie des auteurs et autrices du secteur, dont Pénélope Bagieu et Riad Sattouf, il demandait à ce que 9e Art + ne soit pas réengagé en 2028, date de reconduction tacite du contrat qui le lie jusqu’en 2027 à l’association propriétaire du festival.

Un appel d’offres « biaisé », selon Anouk Ricard

Sa présidente Delphine Groux a dit avoir entendu, sans toutefois promettre d’écarter la société de Franck Bondoux du nouvel appel d’offres. Pour Anouk Ricard, Grand Prix 2025, c’est la goutte d’eau de trop. En octobre, cette dernière annonce sur son compte Instagram boycotter l’édition 2026 et refuser l’exposition qui devait lui être consacrée.

« Il est clair que cet appel est biaisé depuis le départ, le choix du nouveau prestataire semble avoir été fait depuis longtemps : 9e Art +, une société qui n’hésite pas à afficher son mépris à l’égard des auteur.ices et que, de fait, nous ne souhaitons pas voir reconduite pour neuf ans à la tête du festival », écrit l’autrice sur son compte Instagram.

Sa décision provoque un retentissement symbolique dans les médias, et dans l’opinion publique. Qu’importe, quelques semaines plus tard, le délégataire controversé se voit proposer de poursuivre la mission qu’il occupe depuis 2007, mais cette fois en compagnie de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, un établissement public qui abrite le musée de la BD dans la commune du Sud-Ouest.

Les Grands Prix s’en mêlent

Un maintien déguisé qui pousse de nouveau Anouk Ricard à prendre la parole. En compagnie d’une dizaine d’autres lauréats de la prestigieuse récompense, comme Jacques Tardi et Art Spigelman, elle signe une tribune appelant au boycott du festival, que la bande estime être « en danger de mort ».

« Ce qui a mis le feu aux poudres, nous a confié Lewis Trondheim, qui figure parmi les signataires, c’est quand les éditeurs ont demandé qu’une personne neutre assiste aux débats dans la nomination du successeur de 9e Art +. Son président leur en avait donné l’assurance. Et finalement, il n’y a eu personne. Ils ont eu l’impression d’être pris pour des cons. »

Le mouvement, déjà rejoint par les éditeurs indépendants, a ensuite rapidement été suivi par de grandes maisons d’édition, comme Dargaud, Casterman, et Glénat, qui ont pour la plupart décidé de ne pas se rendre à Angoulême en janvier prochain, malgré l’argent d’ores et déjà dépensé dans l’organisation et la location des stands.

« 60 % de subvention » de l’État en moins

Un signal fort. « C’est très bien, c’est là où il y a de l’argent. C’est le genre de truc qu’on pensait ne jamais voir arriver », selon Lewis Trondheim. Et il n’a pas tort. Au lendemain de cette décision, une annonce a été faite : les résultats de l’appel à concurrence ont été jugés « caducs ». Et « 9e Art + ne sera pas reconduit au-delà de son contrat actuel », assure-t-on.

Un comité de pilotage doit être constitué pour lancer un nouveau processus de sélection, dont les résultats seront proclamés le 18 juin prochain. Victoire ? Pas vraiment. Le monde de la BD se montre méfiant. Pour le Syndicat national de l’édition, « la confiance est rompue » et Delphine Groux, « artisan du chaos, ne peut pas piloter un nouvel appel à projets ».

Les menaces de boycott de la prochaine édition n’ont pas été levées, bien au contraire, et la ministre de la Culture, Rachida Dati, a, elle, annoncé une réduction « de plus de 60 % de la subvention » accordée par l’État à 9e Art +, craignant de voir le festival devenir « un naufrage à compter de l’édition 2026 ». Si d’aventure celui-ci avait bien lieu.