Politique

Quelle est cette règle de « l’entonnoir » qui peut compliquer les débats sur le budget ?

Les textes de financement de l’État (PLF) et de la Sécurité sociale (PLFSS) ne pas encore totalement sortis des limbes parlementaires mais mais leur adoption est plus que compromise. En démontre d’ailleurs le rejet historique du PLF à l’Assemblée, vendredi 21 novembre dans la soirée. Le Premier ministre lui-même estime que « le moment de vérité » viendra plus tard. Plus tard, c’est-à-dire au moment du second passage des textes devant le Parlement, où une nouvelle règle fera son apparition : l’entonnoir.

L’outil de jardinage parlementaire est peu connu. Il figure pourtant dans les règlements des deux chambres du Parlement, défini ainsi dans celui du Sénat : « Devant chaque chambre, le débat se restreint, au fur et à mesure des lectures successives d’un texte, sur les points de désaccord, tandis que ceux des articles adoptés en termes identiques sont exclus de la navette. » L’Assemblée nationale précise que « les amendements doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion ».

En résumé : au bout d’un certain nombre de passages (des « lectures », dans le jargon) devant les deux chambres du Parlement, il n’est plus possible de rajouter de nouveaux amendements sans lien direct avec les articles ou autre amendement encore en discussion.

Beaucoup de « si » avant d’y arriver

C’est le Conseil constitutionnel qui a défini, au fil des années, le nombre de lectures à partir duquel la règle de l’entonnoir entre en vigueur. Après plusieurs changements, les Sages ont décidé en 2006 qu’elle s’appliquera à partir de la deuxième lecture d’un texte. Quelques exceptions sont évidemment permises, si l’amendement ajouté vise à « assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d’examen ou à corriger une erreur matérielle », précise le Conseil constitutionnel. Lequel n’hésite pas à censurer tous ceux qui sortent de ce cadre : entre 2007 et 2012, 16 modifications ont été ainsi retoquées.

Voilà pour la théorie. En pratique, dans cette séquence budgétaire pour 2026, l’outil « entonnoir » est encore sagement posé sur l’établi. Il ne peut en effet être activé que lorsque le PLF et le PLFSS arriveront en seconde lecture. Or, dans le cadre d’un texte budgétaire, cette seconde lecture ne peut intervenir que si la commission mixte paritaire n’est pas conclusive. La tenue de cette CMP semble inévitable, tant le texte du Sénat s’annonce radicalement différent de celui de l’Assemblée.

En revanche, sa conclusion est incertaine. Côté pile, elle accouche d’un texte de compromis. Côté face, elle échoue. Dans les deux cas, l’Assemblée nationale doit reprendre le dossier. Soit, en cas de CMP conclusive, pour donner son feu vert au texte amendé. Soit, en cas de CMP non conclusive, pour une seconde lecture. Ce n’est que dans ce cas précis que la règle de l’entonnoir entrera en vigueur.

Allonger les débats, avec les ordonnances en embuscade ?

Avec quelles conséquences sur le texte ? Auprès du HuffPost, le député PS Jérôme Guedj, chef de file de son groupe sur le budget de la Sécu, démine : « Ce qui a été voté à l’Assemblée et transmis au Sénat n’est pas soumis à l’entonnoir. Ce, même si le Sénat revient sur une des mesures. » L’élu prend ainsi l’exemple d’un amendement PS, visant à augmenter à 1,4 point la contribution sociale généralisée sur les revenus du capital (dont le patrimoine). Adoptée à l’Assemblée (non sans un petit psychodrame), la mesure a été retoquée par les sénateurs en commission et le sera sans aucun doute à nouveau en séance. Mais cela n’empêchera pas son retour à l’Assemblée lors de la deuxième lecture. La suspension de la réforme des retraites échappe aussi à l’entonnoir, puisqu’elle figurait dans le texte initial du gouvernement. « D’où l’importance d’avoir demandé une lettre rectificative », glisse au passage Jérôme Guedj.

En revanche, la règle de l’entonnoir pourrait compliquer de nouvelles négociations. Impossible par exemple de proposer de nouvelles taxes pas dégainées en première lecture pour engranger des recettes supplémentaires. Ou à l’inverse de proposer des coupes budgétaires nouvelles décorrélées des propositions du texte initial. Le compromis sera plus indispensable que jamais, or le mot est presque tabou tant les uns et les autres campent sur leurs positions.

Surtout, Éric Coquerel pointe le risque de voir les débats s’éterniser en seconde lecture à cause de cette règle entonnoir. « Comme l’Assemblée n’a pas adopté le PLF en première lecture, la règle de l’entonnoir est moins stricte », détaille le président FI de la commission des Finances, dans une analyse similaire à celle de Jérôme Guedj. Avec in fine un risque accru de voir l’Assemblée dépasser les délais constitutionnels d’examen, « ce qui ouvre la possibilité des ordonnances ». Le gouvernement a plusieurs fois dit qu’il n’entendait pas recourir à ce dispositif, dénoncé par plusieurs partis comme un 49.3 déguisé. Mais Éric Coquerel confie ne pas avoir reçu de réponses du Premier ministre à sa lettre pour un engagement officiel.