Dans l’hôpital en crise, « les drames aux urgences sont la partie émergée de l’iceberg »
SANTÉ – Il y a urgence aux urgences. Depuis plusieurs semaines, les pages des quotidiens régionaux et nationaux se noircissent de drames survenus dans les services d’urgences. Eaubonne, Nantes, Toulouse, Hyères… Derrière ces événements, « la partie émergée et dramatique de l’iceberg de la crise de la santé, globale elle », selon Thomas Mesnier, ex-député Horizons à la tête des urgences du CHU de Bordeaux, contacté par Le HuffPost.
« On fait face sur fin 2023 à une forte augmentation de l’activité due notamment aux épidémies hivernales, ce qui conduit à plus d’appels au SAMU, et donc à une sursaturation des prises en charge, à des délais plus long. Plus les gens attendent, plus il y a des complications », analyse le médecin.
Ces événements « inattendus » se multiplient-ils ? Seule donnée disponible, le nombre « d’événements indésirables graves associés aux soins » (EIGS), déclarés anonymement par les professionnels. Entre janvier 2022 et mars 2023, 136 « événements » de ce type, liés aux services d’urgences, ont conduit à un décès. Entre 2021 et 2022, le nombre de déclarations reçues à la HAS a augmenté de 27 %, à 2 385 déclarations d’EIGS, contre 1 874 pour l’année 2021.
Sauf que de l’avis même de la HAS, cet outil « ne permet de faire des généralisations et des statistiques parce qu’il n’est pas exhaustif ». « On voit que le nombre de déclarations depuis des services d’urgences a augmenté, mais on ne peut pas dire que c’est en lien avec une dégradation de la qualité des soins. Ce qu’on peut dire c’est que potentiellement, les soignants commencent à comprendre l’intérêt de déclarer plus systématiquement ces événements », insiste auprès du HuffPost Laetittia May-Michelangeli, cheffe du service évaluations et outils pour la qualité et la sécurité et soins, au sein de la HAS.
Le temps, c’est de la santé
« Je comprends le besoin d’avoir un chiffre, mais il faut surtout en venir à bout. On sait que ça existe. En ce moment, il y a un effet médiatique. Nous, ça fait longtemps que nous décrivons cette situation », rappelle au HuffPost Marc Noizet. Le président de SAMU-Urgences de France préfère surtout rappeler les conclusions explosives d’une étude publiée l’été dernier dans la revue JAMA, et menée conjointement avec l’AP-HP et l’Inserm. Elle a montré que pour un individu de plus de 75 ans, une nuit passée sur un brancard augmentait le risque de mortalité de 50 %.
Comme le corps humain, les services d’urgences sont une grosse machine qui ne souffre guère les complications. Au cœur du réacteur, l’enjeu du nombre de lits disponibles. « Si j’ai un patient qui arrive avec une fracture du col du fémur, il me faut une place en chirurgie. Si le lendemain j’ai un autre patient qui souffre d’une fracture identique, il faudra que le premier patient puisse aller dans un autre service. On manque de lit d’aval, c’est ça le principal point faible, qui au-delà des enjeux budgétaires, sont fermés pour cause de manque de personnel », estime Thomas Mesnier. En 10 ans, ce sont près de 40 000 lits d’hospitalisation complète qui ont été fermés.
Le diagnostic est loin d’être nouveau, et certaines solutions mises en place depuis plusieurs années commencent à produire des effets. C’est notamment le cas de la régulation en amont. Si elle n’empêche pas les services d’urgence de fermer certaines nuits, ni même les drames, elle a permis de mieux réguler les entrées en obligeant les patients à passer par le 15 avant de se rendre à l’hôpital.
En place dans plus de soixante départements, la régulation n’est en revanche pas pourvoyeuse de miracle. « C’est un outil extraordinaire, c’est vertueux, mais l’impact sur les urgences a été faible, avec 10 à 15 % de diminution de l’activité. Les urgences ce sont des flux. 75-80 % des patients sortent après leur passage, le reste est hospitalisé. Les patients qui sont déviés vers la médecine de ville par la régulation avant sont de toute façon ceux qui seraient amenés à sortir », résume Marc Noizet qui pointe notamment la tarification à l’acte qui pousse les hôpitaux à la rentabilité.
Crée un choc de politique de la santé
Outre les événements inattendus chiffrés, la HAS a mis en place depuis 2020 une nouvelle formule pour certifier la qualité des soins d’un établissement. « Les démarches de certification de la HAS et des ARS sont très regardantes, elles suivent vraiment les événements indésirables, sur lesquels elles veulent des analyses et des mesures correctives », estime, optimiste, Thomas Mesnier. Quand Marc Noizet se montre plus circonspect : « Ce qui m’inquiète c’est que dans des établissements certifiés haute qualité de soins ces derniers mois, il y a aussi eu des morts aux urgences. C’est un paradoxe et la preuve que la HAS ne se concentre pas sur les éléments de dysfonctionnements mais sur d’autres choses ».
Pour le président de SAMU-Urgences, il y a la nécessité d’un nouvel indicateur choc à court terme : publier chaque jour à 8 heures le nombre de patients qui sont sur des brancards et qui n’ont pas de place d’hospitalisation. « Qu’il y ait besoin d’un indicateur pour mesurer un certain nombre de délais, comme des patients en attente sur un brancard, ou qui reflète ce qu’on ne peut pas voir, c’est important », souligne Laetittia May-Michelangeli, ajoutant que cela serait néanmoins difficile à mettre en place au niveau national. À cet égard, deux chantiers sont en cours à la HAS : le premier sur l’utilisation de la base de données des urgences, et le second sur et la qualité des soins perçue par le patient aux urgences.
En attendant, il y a urgence pour Marc Noizet à « assumer qu’on est mauvais, et à aller vers un changement profond ». Seule solution selon lui, la réouverture de lits, « mais pas n’importe comment, ce dont on a besoin ce sont des lits de médecins de gériatrie et de médecine polyvalente ». Il y a dix mois, Emmanuel Macron avait promis de désengorger les urgences d’ici fin 2024, un vœu au pieu près.
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