Santé

Derrière le jeûne thérapeutique, des dérives sectaires et des risques pour la santé

ALIMENTATION – C’est un « sujet de vigilance » pour la Miviludes, mais le jeûne a le vent de poupe. En mars 2022, un sondage Ipsos révélait que près de 27 % des Français jeûnent régulièrement. Pourtant, il n’y a pas de consensus sur les bienfaits réels de telles pratiques. Et pour la mission de lutte contre les sectes, ces méthodes peuvent même donner lieu à des dérives sectaires.

Ce samedi 9 mars, un congrès international du jeûne s’installe à Aix-en-Provence – présenté sur son site comme une journée qui « réunit médecins et chercheurs pour faire le point des connaissances sur les effets du jeûne en santé humaine. Afin d’assurer la sécurité de cette pratique, médecins et biologistes partageront les informations validées dans la littérature scientifique. »

Un événement qui « interpelle » le Conseil National de l’Ordre des Médecins, qui y sera très attentif, selon Jean-Marcel Mourgues, son vice-président, que nous avons joint par téléphone. « La médecine du jeûne n’est pas une entité reconnue. On s’interroge très fortement sur les raisons pour lesquelles des médecins se retrouvent en table ronde, et sur le contenu des discours qu’ils y tiendront », confie-t-il.

Des réels bienfaits ?

Les pratiques de jeûne – défini comme une privation partielle ou totale de toute alimentation pendant un temps donné – sont variées. Le jeûne intermittent fait partie des procédés les plus répandus, et consiste à sauter le petit-déjeuner (ou en retarder la prise), ou à se passer du dîner (ou à en avancer l’horaire). Mais ce n’est pas lui qui fait l’objet d’une vigilance particulière.

Le jeûne qui focalise toute l’attention est celui dit « thérapeutique ». Il consiste à « s’abstenir de tout aliment (solide ou liquide) à l’exception de l’eau pendant une période plus ou moins longue afin d’améliorer sa santé, soit pour diminuer les symptômes de maladies, soit pour les prévenir », selon le Conseil national de l’Ordre des médecins. Généralement, il se pratique lors de stages d’environ une semaine dans des centres.

Pour ses défenseurs, ce jeûne aurait des bénéfices pour la santé. Contacté par Le HuffPost, le médecin et président de l’Académie Médicale du Jeûne, Jacques Rouillier, qui participe au Congrès international d’Aix en Provence, estime que ces pratiques ont des bienfaits sur « le plan physiologique et métabolique, comme l’amélioration de certaines maladies digestives et rhumatologiques inflammatoires ». Mais il assure : « On va plutôt utiliser le jeûne comme un complément de traitement. »

Pourtant, selon Jean-Marcel Mourgues, « aucune étude rigoureuse sur le sujet n’a été reconnue par les différentes instances ».

Risques pour la santé

Pour le Conseil national de l’Ordre des médecins, il existe des risques très sérieux, allant jusqu’au décès, si le jeûne est pratiqué « en dehors d’une structure médicalisée ». L’organisme cite, entre autres, des maux de tête importants, des étourdissements, des anémies par carence en fer, des inflammations, des fibroses au niveau hépatique, ou encore une dégradation du capital osseux et des troubles du rythme cardiaque.

Jacques Rouillier reconnaît que le jeûne sec, sans eau ni alimentation, « présente des dangers extrêmes au bout de 48 heures ». Mais si le jeûne est uniquement alimentaire et « pratiqué par une personne en bonne santé, dans un encadrement professionnel, avec un groupe où on est tous attentifs les uns aux autres », et avec une méthode qu’il considère comme « validée », alors il ne comporte « aucun risque ». Les dangers interviennent lorsqu’une personne souffre déjà d’un problème de santé ou si elle « se lance avec des gens pas très honnêtes ».

Ainsi, il cite certaines contre-indications médicales : dénutrition, carences minérales ou en vitamines, insuffisances coronariennes ou cardiaques graves… « Les troubles des conduites alimentaires sont aussi une contre-indication, au même titre que des psychoses, démences ou des déséquilibres psychiques marqués, ajoute le médecin. Cela peut être dangereux car ces personnes peuvent sortir du raisonnable facilement. » Et selon lui, il existe également une limite théorique à la durée d’un jeûne, pour une personne en bonne santé, de trois à quatre semaines sans risquer sa vie, même si elle est variable selon les individus.

Pour Jean-Marcel Mourgues néanmoins, les dangers peuvent intervenir même si la personne ne souffre pas de maladies particulières. Il alerte : « Ces pratiques peuvent entraîner des malaises, des perturbations hydroélectriques, comme des déshydratations, et des décompensations de maladies sous-jacentes, cardiovasculaires par exemple, qui peuvent arriver assez rapidement pendant le jeûne. »

Emprise et dérives sectaires

Un jeûne peut être particulièrement dangereux lorsqu’il est encadré par des personnes malveillantes. Contactée par Le HuffPost, la Miviludes relève que « les groupes ou individus à l’origine de dérives sectaires sont nombreux à recourir [aux jeûnes]».

Ces « charlatans » organisent « des stages particulièrement onéreux, généralement d’une semaine (…) en milieu rural », décrit l’organisme. Ils présentent leur méthode comme « miraculeuse » et peuvent « prétendre que la médecine conventionnelle est inefficace voire nocive », allant même jusqu’à placer leur sujet sous une « emprise mentale ».

Ces stages présentent de nombreux dangers, listés par la Miviludes : outre leur coût exorbitant, l’affaiblissement et l’isolement des participants peuvent les conduire à rompre des liens avec leur famille, et les rendre plus facilement manipulables et exploitables. Les discours incitant à délaisser la médecine conventionnelle au profil de la médecine parallèle peuvent avoir des conséquences dramatiques sur la santé des personnes.

Un risque que souligne aussi l’Ordre National des Médecins, les patients présentant des pathologies graves pouvant être « écartés » des traitements « dont l’efficacité a été démontrée », ce qui peut les conduire à « une perte de chance ou un risque vital ».

Reconnaître les stages à risque

En France, ces stages ont déjà été fatals. Eric Gandon, un gourou du jeûne et des cures hydriques, se présentant comme naturopathe, est mis en examen depuis janvier 2023 pour homicide involontaire, suite à la mort d’une femme de 44 ans, venue participer à l’une de ses cures, en août 2021, près de Tours. Il est également accusé d’abus de faiblesse, mise en danger de la vie d’autrui et exercice illégal des professions de médecin et pharmacien.

Pour reconnaître les stages qui pourraient entraîner des dérives sectaires, la Miviludes dresse une liste de recommandations. Elle conseille d’abord de se méfier des remèdes miracles ou des demandes de confidentialité. Puis elle préconise de consulter des sites officiels des ordres professionnels compétents et des institutions, avant de se lancer dans un stage.

L’organisme conseille aussi de vérifier les qualifications du praticien, ou la légitimité des structures d’accueil auprès d’institutions publiques ou des professionnelles. Elle cite les Agences Régionales de Santé, la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets), le ministère des Solidarités et de la Santé, les ordres et les syndicats professionnels.

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