Politique

« Cher Parlement européen », la lettre de Karima Delli, eurodéputée depuis 2009

TRIBUNE – L’eurodéputée écologiste Karima Delli a été élue en 2009 à Strasbourg. Alors que le Parlement européen se réunit en plénière ce jeudi 25 avril pour la dernière fois de la mandature, Karima Delli adresse ces quelques mots au Parlement européen, lieu où elle a connu de victoires obtenues et de travail qu’il reste encore à accomplir à l’aube des prochaines élections.

Lettre au Parlement européen.

En 2009, j’arrivais au Parlement européen, sans savoir que j’y consacrerais 15 ans de ma vie. Si mon troisième mandat s’achève le 9 juin à 20h, je n’ai pas prévu, pour autant, de quitter l’Europe.

Après quinze années passées au Parlement, dont huit en tant que Présidente de la Commission Transports et Tourisme, je peux dire que je porte l’Europe dans mon cœur. À mon arrivée, après un passage auprès de Marie-Christine Blandin au Sénat, j’ai eu la chance d’être accompagnée par José Bové, Daniel Cohn-Bendit et Éva Joly… L’Europe c’est, avant tout, une certaine vision de la politique : celle qui dépasse les clivages autant que les frontières, celle qui regarde au-delà et voit plus grand. Toutes ces années, j’ai aimé travailler avec 28 nationalités différentes, puis 27 (le Brexit étant passé par-là) et rechercher ensemble des compromis et des accords pour tout un continent.

L’Europe c’est, avant tout, une certaine vision de la politique : celle qui dépasse les clivages autant que les frontières, celle qui regarde au-delà et voit plus grand

Pourtant, rien ne me destinait à faire de la politique. Je suis née à Roubaix, cette ville m’a accueillie comme elle avait accueilli mes parents, comme tous ceux qui avaient le rêve d’une vie meilleure. Je suis la 9e de 13 enfants. Mon père travaillait dans une usine textile et mes parents ne savaient ni lire ni écrire, mais ils m’ont inculqué des valeurs inestimables : en particulier de la dignité par le travail. J’ai reçu l’héritage des enfants d’ouvriers : un mélange de pragmatisme et d’idéal, le sens du devoir, le courage et l’énergie. Au nom de cet héritage, je nous refuse la perspective du pire pour notre Europe : le cynisme démagogique et le souverainisme de repli.

Si on m’avait dit que je deviendrai députée européenne et Présidente de la Commission Transports et Tourisme au Parlement européen, je n’y aurais jamais cru ! Mais l’Europe c’est un projet invraisemblable et fantastique ! Au sortir de la guerre, Robert Schuman, un des pères fondateurs de l’Union européenne, écrivait que « la paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent ». L’Union est cet effort créateur, plus que jamais d’actualité. Encore aujourd’hui, dans l’hémicycle, je réalise l’exploit unique de la présence d’autant de nationalités différentes dans un parlement unique.

J’ai saisi ce pari fou à bras-le-corps et nous avons tenu nos promesses. Nous avons construit le Green Deal lors de cette dernière mandature, avec l’ambition de faire du continent européen le leader mondial en matière de transition écologique. Les populistes peuvent accuser l’Europe de tous les maux, notre travail est bien réel et il améliore la vie des gens. À la tête de la Commission Transports, nous avons réussi à fixer des objectifs de réduction des émissions de CO2 pour tous les moyens de transport. Une transition écologique oui, mais une écologie populaire : en dénonçant le scandale du Dieselgate en 2015, pour lutter contre les milliers de morts liés à la pollution de l’air ; en demandant un green deal ferroviaire, pour répondre au défi de la fracture territoriale ; en construisant une vraie feuille de route de l’industrie « made in Europe », pour créer plus d’emplois verts, mon action aura toujours été dictée par la volonté de donner à chacun des conditions de vie dignes.

Encore aujourd’hui, dans l’hémicycle, je réalise l’exploit unique de la présence d’autant de nationalités différentes dans un parlement unique.

Pendant cette mandature, nous avons su affronter ensemble des crises inédites, avec pour horizon la coopération et le dialogue. Pendant le Covid, l’obligation de garder au sol tous les avions nécessitaient de trouver des solutions exceptionnelles pour assurer le transport des marchandises indispensables. Nous l’avons fait. Le Brexit nous imposait de repenser les échanges commerciaux avec la Grande-Bretagne et de protéger les droits des travailleurs européens. Nous l’avons fait. Le retour de la guerre à nos frontières menace la souveraineté et la sûreté de notre Union, nous obligeait à assurer le soutien aux populations Ukrainiennes. Nous l’avons fait.

Sans l’Union, comment imaginer jouer un rôle à l’échelle internationale dans la lutte contre le dérèglement climatique ? Sans l’Union, comment apporter des réponses courageuses et humanistes au défi migratoire ? L’Europe n’est pas parfaite. Comme toutes les institutions politiques elle a des défauts et commet des erreurs. Mais elle est indispensable. Taper sur Bruxelles est devenu le programme de ceux qui n’en ont pas.

En cette période d’élections, les pro-européens ne peuvent plus se taire, ils ne le doivent pas. Le danger est trop grand. Nous, les Européens, devons dire, redire, répéter, notre attachement à l’Union Européenne. Nous, les Européens, devons affirmer que l’Europe sera la solution aux défis de notre temps et le repli une défaite.

L’Europe n’est pas parfaite. Elle a des défauts et commet des erreurs. Mais elle est indispensable. Taper sur Bruxelles est devenu le programme de ceux qui n’en ont pas.

Voici que mon troisième mandat s’achève, mais pas mon aventure européenne. Elle prendra d’autres formes et se poursuivra dans d’autres lieux. Pour toujours, je porterai l’Europe avec moi. Mon histoire est celle d’une fille née à Roubaix, qui a toujours pensé que tout était possible. Celle d’une femme qui vit pour ses convictions et ses combats, sans jamais renoncer. Celle d’une femme politique qui a grandi dans un quartier populaire pour se hisser jusqu’à la Présidence d’une Commission au Parlement européen. Alors que mon mandat s’achève, je regarde avec fierté tout le travail accompli et, surtout, celui qui nous reste à accomplir. Ce n’est pas un au revoir, puisque ce n’est pas la fin. L’Europe appartient à ceux qui la font.

Je rêve d’une perspective heureuse pour l’Europe : celle d’une écologie qui nous ressemble et qui nous ressemble : respectueuse de notre dignité et de la nature… une écologie populaire.

Soyons les nouveaux précurseurs des conquêtes sociales. Soyons l’avant-garde de la transition écologique.

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