50 ans après sa mort, Marcel Pagnol ne reconnaîtrait pas tous les paysages de son enfance
ENVIRONNEMENT – « Je suis né dans la ville d’Aubagne, sous le Garlaban couronné de chèvres ». Marcel Pagnol est mort il y a 50 ans, le 18 avril 1974, mais a laissé derrière lui Les Souvenirs, série de quatre romans autobiographiques, qui racontent ses étés passés dans le pays d’Aubagne, au début du XXe siècle. Avec son ami Lili, il chassait des perdrix dans le massif du Garlaban et les verdoyantes collines qui l’entourent. Un paysage qui a bien changé aujourd’hui.
« Sur les plateaux de garrigue, le thym, le romarin, le cade et le kermès gardent leurs feuilles éternelles autour de l’aspic bleu », écrit Marcel Pagnol, contemplatif, dans Le Château de ma mère. Cette flore luxuriante s’épanouissant sur une terre aride et calcaire persiste, mais elle est peu à peu grignotée par la forêt, explique au HuffPost Thierry Gauquelin, professeur émérite de l’Institut Méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE).
Les pins d’Alep colonisent la garrigue
Jusqu’en 1920-1930, quand Marcel Pagnol a tourné Angèle (1934), « les personnages évoluaient dans la garrigue, un milieu avec des petits arbustes bas, dans laquelle il était très facile de cheminer pour chasser », poursuit celui qui travaille depuis plus de quarante ans sur le fonctionnement des écosystèmes forestiers.
Sans disparaître, la garrigue a été en partie remplacée par les pins d’Alep, une espèce pionnière du bassin méditerranéen, comme vous pouvez le constater sur la photo ci-dessous. « Ce phénomène est provoqué par la déprise pastorale et agricole », précise Thierry Gauquelin. Tout simplement, les hommes et leurs troupeaux quittant les massifs, les essences endémiques ont repris leur droit. Avec cette densité forestière, « pas sûr que Pagnol reconnaîtrait tous les lieux emblématiques de son enfance », insiste le chercheur.
Sur cette autre illustration, vous pouvez voir, à gauche, la végétation près du pont de l’Étoile, à Aubagne, dans les années 1950. Et à droite, une photo prise en 2024, montrant la recolinisation de l’espace par la pinède.
L’effet des sécheresses sur la disparition de certains arbustes n’est pas non plus à prendre à la légère, note le paléoclimatologue Antoine Nicault. Une analyse partagée par Thierry Gauquelin, qui s’exclame : « En 2023, on a eu une sécheresse toute l’année, il est tombé autant de pluie à Marseille qu’à Marrakech ! ».
Et le chercheur Antoine Nicault tire les conséquences des étés extrêmes de 2022-2023 : « Certaines espèces exposées sur les crêtes du massif du Garlaban, comme le romarin, n’ont pas résisté à la concomitance des vagues de chaleur et du manque de précipitations ». Marcel Pagnol serait bien triste de ne plus pouvoir se prélasser « parmi le thym, le romarin et les lavandes, au chant des grillons et des cigales, sous le ciel d’un bleu vif (…) », comme il l’écrivait.
Une faune qui change sur ses collines
Dans les livres de Pagnol, on voit, mais on entend aussi la nature. « Les cigales chantaient bien forts grâce à leurs tympanons bien secs. Il y en avait des centaines (…) », décrit Marcel Pagnol dans Le temps des amours. Si elles font toujours claquer leurs cymbales dans le massif du Garlaban, l’insecte symbolique de la Provence a, ces dernières années, quelques fois décalé ses vocalises. Mi-août 2022, l’agroclimatologue Serge Zaka expliquait sur France 3 qu’à cause des températures trop élevées, leurs œufs avaient éclos plus tôt, et les cigales s’étaient mises à chanter au printemps et s’étaient tues dès fin juillet. Certains étés, le petit Pagnol, aurait donc été privé d’un mois entier de symphonie.
Sur les chemins escarpés de son enfance, celui qui n’était pas encore écrivain s’amusait aussi à guetter la couleuvre de Montpellier ou le lézard ocellé. Des reptiles qu’il côtoierait moins. « Le lézard occelé est absolument magnifique. Il peut faire jusqu’à 50 centimètres de long. C’est une espèce typique de la garrigue qu’on retrouve peu dans la forêt », précise à cet égard Thierry Gauquelin. Pareil pour les perdrix, ces oiseaux que Pargnol chassait avec son ami Lili ou son oncle Jules : « ce sont aussi des espèces qui préfèrent les milieux ouverts que fermés comme la forêt ». Quant aux faucons pèlerins qui survolaient ses parties de chasse, ils ont failli être rayés de la carte dans les années 1970.
Les étés « sans fin », bientôt une réalité ?
Lorsqu’on suit les aventures de Marcel Pagnol, on ressent aussi la chaleur estivale, celle qui assomme, qui force à fermer les volets et à faire la sieste l’après-midi. L’auteur n’évoque jamais de températures, mais les données scientifiques nous disent que les étés à Aubagne sont aujourd’hui bien plus torrides qu’au XXe siècle.
« En une centaine d’années, le climat s’est réchauffé de près de 2 degrés en Provence, contre 1.1 degrés dans le reste du monde », nous explique le docteur en biologie Antoine Nicault. Le bassin méditerranéen est en effet l’un des points chauds de la planète, sa géographie entre vents et montagnes, modifie la circulation de l’air, et rend le temps plus sec et plus chaud.
Les étés décrits comme « sans fin » par l’écrivain deviennent année après année une image plus si éloignée de la réalité. « Les chaleurs sont de plus en plus tardives à l’automne, souligne sur ce point Antoine Nicault. Et les rentrées scolaires en septembre de Pagnol seraient marquées, certaines années, par des canicules. »
« Dans 30-40 ans, le climat va encore se réchauffer de 2 degrés supplémentaires », poursuit le spécialiste en dendrochronologie, avec pour conséquence « des écosystèmes profondément bouleversés ». À cause de l’accélération du changement climatique dans les vingt prochaines années, entraînant des canicules à 50 degrés, des sécheresses durant plusieurs années, et des mégas feux, les paysages de Marcel Pagnol dans les garrigues de Provence pourraient bien devenir de lointains Souvenirs.
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