Avec son nouveau livre, Joël Dicker veut « laisser le lecteur prendre sa place » – INTERVIEW
LITTÉRATURE – Ses fans l’attendent en se rongeant les ongles depuis deux ans. Le nouveau roman de Joël Dicker, Grand prix de l’Académie française pour La vérité sur l’affaire Harry Québert en 2012, sort en librairie ce mardi 27 février. Dans Un animal sauvage, l’auteur suisse embarque ses lecteurs dans un huis clos totalement addictif. Un livre qui permettra peut-être à Joël Dicker, comme en 2022 avec L’Affaire Alaska Sanders, de reprendre sa place dans le Top 10 des auteurs francophones les plus lus en France.
Un braquage, un tatouage, deux couples mystérieux, des passés qui s’entremêlent, un décor luxueux et une généreuse dose de flashbacks composent la recette de ce nouveau roman ultra-efficace. Et ce qui fait d’Un animal sauvage un véritable « page-turner », c’est aussi le fait que Joël Dicker donne en grande partie les rênes à ses lecteurs, encore plus que dans ses précédents romans, en les laissant dessiner et colorier chaque personnage et chaque scène à leur manière.
L’écrivain explique au HuffPost ce choix et comment il voit et entretient ce lien si précieux avec eux.
Dans ce 6e roman, plus que jamais, vous ne prenez pas le lecteur par la main, vous l’invitez à tout imaginer. Vous le responsabilisez presque ?
Déjà que je ne décrivais pas beaucoup avant, je le fais encore moins dans ce roman. Zéro. Sauf si ça a un sens particulier, nécessaire pour l’intrigue. Je pense que ça vient du fait que moi, quand je suis lecteur, je déteste les descriptions. Quand je lis un livre, ce n’est pas pour qu’on me raconte comment sont les personnages en me disant : « il avait un nez comme ci, des cheveux comme ça ». On a en français un vocabulaire tellement large et riche qu’on pourrait se faire plaisir en décrivant tout sur des pages et des pages. Mais moi je m’en fous. Ce n’est pas la peine. Il faut laisser le lecteur prendre sa place.
C’est aussi pour cela que ça me touche quand on me dit que c’est très cinématographique. En fait, ça veut dire que ça fait appel aux images du lecteur de façon très forte. Il peut se construire son film après. Et ils seront tous différents.
Cela veut-il dire que votre processus d’écriture est tourné en priorité vers le lecteur ?
Oui et non. Je n’ai pas l’obsession du lecteur quand j’écris, en me répétant par exemple : « Il faut que j’écrive pour lui ». Mais mon concept de la littérature, comme lecteur avant tout et comme auteur aussi, c’est le partage, l’échange. C’est ça qui me donne du plaisir. Je reviens toujours à la question orale. Une vraie bonne histoire, c’est l’oralité.
Quand tu racontes une histoire à des gens, tu vois qu’ils sont là, dedans. Et ça te stimule, tu veux en faire plus, en faire des tonnes. Pour moi, le livre c’est pareil, c’est vraiment quelque chose qui se fait à deux. Au début, les deux, c’est moi et moi-même, comme je n’ai pas de plan quand j’écris. Moi non plus, je ne sais pas ce qui se passe, donc je suis à la fois l’auteur du livre, le créateur de l’histoire, et mon lecteur. Et après, quand il est imprimé, c’est avec le lecteur.
Vous entretenez une relation de proximité avec vos lecteurs, notamment via les réseaux sociaux. Qu’en retirez-vous ?
Je trouve chouette d’avoir un endroit où l’on peut tous se parler très facilement. J’ai des lecteurs partout, dans le monde entier, et en ce sens, les réseaux sociaux, c’est très beau et je lis tout. Mais j’aime encore plus rencontrer des gens en librairie. Ce moment de partage est vraiment fort, tu en retires des choses éditorialement et surtout beaucoup de bonnes énergies. Je leur suis très reconnaissant, c’est grâce à eux tout ce qui m’arrive et je sais ce que je leur dois.
Le fait d’avoir créé la maison d’édition Rosie and Wolfe a-t-il modifié ce lien ?
Oui, ça m’a encore plus rapproché de mes lecteurs. Car maintenant je peux leur proposer d’autres livres, essentiels selon moi, et partager quelque chose de plus, quelque chose d’autre que juste leur dire : « J’ai lu ça et c’est super ». Là, je peux assumer encore plus cette conviction que j’ai, à savoir que c’est essentiel de lire et de faire lire. Il faut sortir les gens de leur téléphone, il faut les amener à lire. C’est le combat du siècle, surtout pour la génération qui arrive.
La sortie d’Un animal sauvage s’accompagne-t-elle d’un certain trac, celui de vouloir ne pas décevoir ?
Le succès, c’est très paradoxal. Lorsque je sors un nouveau roman, j’ai à la fois moins de pression – dans le sens où je me rends compte que les gens me font confiance –, mais justement je dois honorer cette confiance en les emmenant aussi ailleurs, avec des livres qui vont évoluer par rapport à mes envies et ce sont des envies que je dois écouter. Ce livre-là est différent, resserré, dense. Et je crois que les lecteurs auront du plaisir tant que je prends des risques. Parfois ils aimeront plus ou moins, et ça, c’est normal. Mais il ne faut pas trop penser à ça.
Le lien est là, il existe, mais j’ai changé depuis Harry Québert il y a 12 ans, et je vais continuer à changer. Mon rêve, c’est de rester à la hauteur de cette confiance qu’ils m’accordent et de conserver ce lien. Il faut être authentique, parce que si tu commences à vouloir rester dans un modèle pour ne décevoir personne, finalement tu déçois tout le monde. Tu es dans un rôle, tu mets un masque, et la notion d’échange et de partage, où est-elle quand tu n’es pas toi-même ?
À voir également sur Le HuffPost :