Culture

Cannes est devenu une tribune engagée pour beaucoup de sujets, mais pas tous

CINÉMA – En 2025 sur la Croisette, pas de Cate Blanchett aux couleurs du drapeau palestinien, ni de Bella Hadid en robe keffieh. À la place : des mots. Ce samedi 24 mai, le Festival de Cannes s’apprête à baisser le rideau de sa 78e édition, une édition entre autres marquée par des prises de paroles auxquelles les stars nous ont peu habituées ces dernières années.

Retour en arrière. Nous sommes le mardi 13 mai, et la cérémonie d’ouverture est lancée en grande pompe au Palais des festivals. Sur scène, Laurent Lafitte – notre hôte pour la soirée – ouvre le bal. « Cannes, c’est un cinéma souvent politique, souvent social, sociétal, un cinéma citoyen », a-t-il d’abord clamé à sa tribune.

Avant d’ajouter : « On dit souvent qu’une carrière d’acteur se construit autant sur ce qu’il accepte que sur ce qu’il refuse. Une carrière de citoyen, aussi. » D’autant plus « à l’heure où le climat, l’équité, le féminisme, les LGBTQIA +, les migrants, le racisme ne sont plus seulement des sujets de films, mais les mots interdits par la première puissance mondiale ».

Un plaidoyer en faveur de l’engagement de ses pairs, suivi de près par les mots de la présidente du jury, Juliette Binoche, en faveur de Fatima Hassouna, photoreporter palestinienne tuée par un bombardement israélien à Gaza la mi-avril. Au cœur d’un documentaire projeté en avant-première mondiale au festival, elle « aurait dû être parmi nous », déclare l’actrice.

Wes Anderson dézingue Donald Trump

Ni une ni deux, Robert De Niro lui emboîte le pas, et profite lui de sa Palme d’or d’honneur pour dézinguer Donald Trump. « L’art est en quête de liberté, l’art inclut la diversité, et c’est pourquoi l’art est menacé. C’est pourquoi nous sommes une menace pour les autocrates et les fascistes de ce monde », lance la légende de Hollywood, avant d’étriller la dernière lubie de son président : les droits de douane à 100 % sur les films étrangers.

Ledit projet très contesté a été très critiqué sur la Croisette dans les jours qui suivirent. « Je ne suis pas économiste, mais pour moi ça veut dire qu’il veut prendre tout le pognon », a ironisé Wes Anderson. À l’image des professionnels du secteur, Spike Lee a, lui, fait part de sa stupéfaction et de son incompréhension : « ça pique un peu. »

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Donald Trump en a pris pour son grade. « Que ceux qui essaient de vous faire peur aillent se faire foutre », a lancé Pedro Pascal, présent cette année pour défendre Eddington d’Ari Aster, film satirique sur les travers de l’Amérique d’aujourd’hui. « Je veux vivre du bon côté de l’Histoire. Je suis un immigré, mes parents sont des réfugiés chiliens, je suis aussi réfugié », a-t-il ajouté.

Le reste du monde n’a pas été oublié. L’Iran, par exemple. « Comment peut-on mettre un artiste en prison et ne pas comprendre ce que cela signifie ? » s’interroge Jafar Panahi, cinéaste iranien incarcéré à deux reprises dans son pays. Il venait cette année présenter son dernier long-métrage Un simple accident, en personne au festival pour la première fois depuis quinze ans.

Gaza s’invite à Cannes

La guerre menée par Israël en Palestine, non plus. Elle est au cœur du documentaire Put Your Soul on Your Hand and Walk de la réalisatrice iranienne Sepideh Farsi, dont chacun des mots a tenu à rappeler la mémoire et le combat de Fatima Hassouna, mais aussi les atrocités menées par l’État hébreu.

La veille du lancement des festivités, plusieurs centaines de personnalités de premier plan, comme Pedro Almodóvar, Adèle Exarchopoulos ou encore Xavier Dolan, ont signé une tribune dans les pages de Libération pour déclarer leur « honte » devant « la passivité » de leur milieu alors « qu’un génocide est en cours à Gaza ».

« Le besoin d’indignation sociale et culturelle et d’activisme n’a jamais été aussi urgent qu’en ce moment, clairement (avec) la présidence barbare aux États-Unis, mais aussi la montée des partis d’extrême droite et des gouvernements autoritaires dans le monde entier », a pour sa part rappelé Todd Haynes, figure de la contre-culture américaine distingué par le Carrosse d’or.

Ailleurs, Nicole Kidman – lauréate cette année du prix Women in Motion – a étrillé le manque persistant de parité dans le septième art, tandis qu’Isabelle Huppert – toujours très discrète dans ses prises de position – a partagé son sentiment « d’impuissance, de résignation et de colère » face aux « injustices économiques et sociales », lors d’une conférence de presse pour La femme la plus riche du monde, comédie inspirée de l’affaire Bettencourt.

Des mots assez fort ? Bonne question. Si cela dépend beaucoup des années et des jurys, le Festival de Cannes fait l’objet depuis de nombreuses éditions de critiques pour son caractère apolitique. Et ce, alors même que le plus grand festival du monde de cinéma a été créé en 1939 en réponse à la Berlinale et à la Mostra, respectivement entre les mains des nazis et des fascistes à l’époque.

Les angles morts de Cannes

Si ce 78e Festival de Cannes semble se démarquer, plusieurs sujets sont toutefois bien restés sous le tapis (rouge). Les questions LGBT + – pourtant en pleine montée de la transphobie -, notamment. Y compris au sein des équipes de La petite dernière d’Hafsia Herzi ou de The History of Sound, romance gay ultra attendue avec Paul Mescal et Josh O’Connor.

Rien non plus sur les violences sexuelles, alors même que le festival s’est ouvert le jour même de la condamnation de Gérard Depardieu à 18 mois de prison avec sursis. Quid aussi de la présence sur le tapis rouge d’Ezra Miller, accusé de détournement de mineure ? Ou de Shia LaBeouf, toujours dans l’attente d’un procès pour agression sexuelle ?

Et même si les organisateurs ont décidé en amont de l’ouverture de bannir un acteur du film Dossier 137 accusé de violences sexuelles parce que « la procédure reste en cours », Kevin Spacey s’est vu, lui, remettre une distinction honorifique pour l’ensemble de sa carrière en marge du festival. L’acteur américain fait l’objet d’une nouvelle plainte depuis février dernier.

A-t-on donc vraiment raison de croire que la Croisette s’est politisée ? Prudence. Libération a recueilli les témoignages de plusieurs individus, à qui il a été potentiellement interdit de travailler pour le festival en raison de leurs engagements militants (écologiques pour certains). De l’intérieur, on parle d’un durcissement de la direction à l’égard des manifestations aux abords des festivités, et d’un « renforcement de la sécurité pour des raisons politiques ». Le glamour avant tout.