Ce docu sur le 13 novembre a été « un antidote contre le cynisme » pour les frères Naudet
MÉMOIRE – Comment raconter l’horreur pour ne pas oublier, sans la montrer ? Depuis le 13 novembre 2015, la question continue de se poser. Jules et Gédéon Naudet avaient déjà tenté d’y répondre, deux ans et demi après les attentats qui ont fait 132 morts. Le 1er juin 2018, leur documentaire 13 Novembre : Fluctuat Nec Mergitur sort sur Netflix.
C’est le tout premier documentaire français de la plateforme, coproduit par Marie Drucker, et aussi l’un des premiers sur le sujet. La mini-série en trois parties suit la chronologie des attaques coordonnées à Paris et Saint-Denis, à travers 40 témoignages. En moins de trois heures, survivants, pompiers, membres de la BRI, hommes et femmes politiques se succèdent à l’écran, sans jamais qu’une voix off n’interrompe leur parole.
Les deux réalisateurs ont un malheureux point commun avec ceux qu’ils ont interrogés : ils ont, eux aussi, survécu à une attaque terroriste, celle du 11 septembre 2001. Les frères Naudet filmaient un reportage sur les pompiers de New York lorsque deux avions se sont écrasés dans les tours du World Trade Center. Après avoir frôlé la mort, ils en ont fait un documentaire, New York : 11 septembre, primé aux Emmys.
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Ce lien entre victimes du terrorisme leur a permis de récolter des témoignages aussi difficiles qu’essentiels. Des nombreux documentaires réalisés sur le sujet en dix ans, il reste l’un des plus plébiscités par la presse et les téléspectateurs. Jules et Gédéon Naudet en gardent, eux, des amitiés qui perdurent malgré le temps et la distance, et un message de résilience à partager. Le HuffPost les a rencontrés.
Le 13 novembre marquera les dix ans des attentats de 2015. Que ressentez-vous à l’approche de cette date ?
Jules Naudet : C’est un peu comme le 11 septembre pour nous. Parfois, on a l’impression que c’était il y a très longtemps, et parfois que c’était hier. C’est toujours un peu surréaliste. L’année prochaine ce sera les 25 ans. Ça fait toujours partie de nous, comme ça fait partie de tous ceux qui ont vécu le 13 novembre ou n’importe quelle expérience traumatisante. Moi je vais à Paris comme chaque année pour passer du temps avec les amis qu’on s’est fait parmi les victimes, en particulier les otages du Bataclan. L’idée, c’est d’être avec eux et de les soutenir, parce que c’est toujours un moment compliqué.
Gédéon Naudet : J’ai une façon de gérer tout ça différente de Jules. Moi je fais tout ce qu’il ne faut pas faire, je garde ça bien enfoui [rires] C’est complètement idiot de ma part, mais même pour le 11 septembre, je n’ai pas trouvé d’autre façon de faire. Mais j’ai toujours une pensée pour nos amis, tous les gens qu’on a rencontrés, qui ont eu cette force de se laisser interviewer, parce que c’est un tel acte de courage. Je suis bouleversé à chaque fois que je me souviens de ces interviews. Quand je pense au 13 novembre 2015, je pense à tous ceux qui se sont assis sur cette chaise et qui ont bien voulu revivre ce trauma et nous ont fait confiance pour le partager. Et je pense au fait qu’avec le temps qui passe, les choses peuvent aller mieux.
Vous avez noué des liens forts avec ceux que vous avez interrogés. Que retenez-vous de ces rencontres ?
G. N. : Pour nous, la chose qui a été la plus dévastatrice, c’était vraiment l’apparition du cynisme. C’est vraiment une bête noire, monstrueuse et dangereuse. Après avoir vécu ce genre d’expérience, il est assez facile de se dire que le monde est pourri et de perdre confiance en l’humanité. C’est ce qui m’a fait le plus peur après le 11 septembre. Et c’est étonnant de le dire comme ça, mais avoir eu la chance de rencontrer des gens aussi formidables que les survivants du 13 novembre que nous avons rencontrés, qui continuent à vivre la tête haute, c’est une force contagieuse et un antidote contre le cynisme.
J. N. : Je suis resté très proche de sept des otages. Dès qu’on est à Paris, on se voit tous ensemble, c’est une très belle histoire. Ça nous a toujours inspirés, ces gens extraordinaires qui ont vécu des choses abominables, et qui ont conservé cette force, cet amour les uns pour les autres et se sont reconstruits à plusieurs, alors que très peu d’entre eux se connaissaient ce jour-là. Ils ont forgé une amitié qui, en fin de compte, les aide au quotidien à faire face à ce traumatisme.
Aucune place n’est accordée aux terroristes dans votre documentaire, leurs noms ne sont mêmes pas cités. Si vous deviez le refaire, dix ans après, est-ce que vous feriez le même choix ?
J. N. : Ce parti pris sera toujours le nôtre. Il était hors de question de parler des terroristes parce que, pour nous, le 13 novembre est une histoire de courage, de force, de résilience, de l’être humain qui est capable du pire mais surtout du meilleur face au pire. Et même si on avait l’occasion de le refaire maintenant, avec tout ce qu’on a appris depuis, ça resterait comme ça. On n’imagine pas du tout le faire d’une autre façon.
G. N. : Et puis ces gens-là ne nous intéressent absolument pas. On ne veut même pas penser à eux, on ne veut pas leur donner une seconde dans nos documentaires. On n’a que répugnance pour eux. Donc pourquoi parler d’eux ?
Votre documentaire est sorti deux ans et demi après les attentats. Pour certaines familles de victimes, c’était prématuré. Avec le recul, est-ce que c’était trop tôt ?
J. N. : Pour certains, ce sera toujours trop tôt et douloureux. Et c’est normal et légitime. On est quand même allés voir les associations des familles des victimes et des victimes, on a travaillé étroitement avec Life for Paris. C’est une des raisons pour lesquelles on l’a fait avec Netflix et pas des chaînes traditionnelles, on ne voulait pas cette recherche de l’audimat d’un soir. Au contraire, on savait que ça allait être très dur, que certains n’allaient pas être prêts à le voir. Sur Netflix, chacun pouvait le regarder à son rythme, mettre pause et terminer l’épisode deux mois plus tard, ou jamais. Le traumatisme est différent pour chacun, il faut respecter chaque perspective. Mais on reste derrière notre décision de faire ce documentaire aussi tôt. C’était suffisamment proche pour que les souvenirs soient toujours là, et suffisamment loin pour que les gens soient plus à l’aise de se livrer.
De nombreux films et séries ont depuis été faits sur le 13 novembre. Mais c’est le vôtre qui est souvent cité. Pourquoi a-t-il autant marqué les esprits, selon vous ?
J. N. : Il y a plein de documentaires très bien qui ont été faits. Le nôtre avait cette particularité qu’on était nous-même des victimes du terrorisme. Une énorme confiance s’est instaurée très vite, sachant qu’on avait aussi vécu des choses traumatisantes. Et donc notre rencontre n’était pas celle d’un journaliste avec des survivants. On avait peut-être une façon de leur parler, une façon de comprendre qui a permis cette candeur et cette confiance. Minute par minute, ils décrivent ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont ressenti, ce qu’ils ont entendu. Je pense que c’est ça qui parle aux gens, le récit à taille humaine de cette journée, sans aller dans le contexte historique, ou le pourquoi et le comment.
Est-ce que les œuvres sur le 13 novembre sont essentielles pour le devoir de mémoire ?
G. N. : Oui, comme pour tout événement de l’histoire qui marque profondément les gens, que ce soit une communauté ou un pays. Et j’espère que ce genre de documentaire a vraiment une place dans les écoles. Je pense que c’est important pour les élèves de voir différents points de vue d’un événement passé. Commencer par les livres de classe et continuer avec un documentaire, ça aide les élèves à avoir une perspective vraiment intéressante.
J.N : Ces nouvelles générations sont vraiment visuelles, toujours sur leur téléphone. C’est important de pouvoir voir des documentaires, quels qu’ils soient, ou même des séries comme Des vivants. Je me souviens avoir vu Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophüls sur la résistance en France. Ça permettait de voir des visages, d’entendre le son de leurs voix. Et donc ça rajoutait une compréhension et un aspect humain à l‘événement. Pour les gens qui n’étaient pas là le 13 novembre ou qui étaient trop jeunes, le documentaire leur permet d’être au plus proche de ce que c’était de vivre cet événement.



