Ce film sur une femme à barbe raconte bien plus que quelques poils sur un menton
CINÉMA – Nadia Tereszkiewicz continue son voyage dans le temps. Depuis ce mercredi 10 avril, ce n’est pas dans les années 1930 – comme dans Mon crime d’Ozon – ou à la fin des « eighties » (Les Amandiers) que l’actrice française de 27 ans nous embarque, mais dans la dernière partie du XIXe siècle avec l’arrivée au cinéma d’un brillant nouveau film d’époque : Rosalie.
Dans ce nouveau long-métrage signé Stéphanie Di Giusto (La Danseuse), la comédienne césarisée n’est pas une jeune femme comme une autre. Élevée dans la plus grande discrétion par son père, Rosalie est née avec plus de poils qu’en ont habituellement les femmes, notamment sur certaines parties du corps, comme au visage, dans le dos ou sur la poitrine.
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Et alors qu’elle épouse Abel, le tenancier d’un café croulant les dettes, sans lui avouer son secret, la jeune femme décide du jour au lendemain d’arrêter de se raser. Rosalie veut vivre sa vie librement. Qu’importe ce que les gens pourront dire d’elle et de sa barbe. Mais voilà, comment assumer cette émancipation dans un monde qui rejette la différence ? Son mari finira-t-il, lui, par l’aimer ?
Lynchage et diktats
Nous sommes en 1870 et pourtant, ce récit fait écho à aujourd’hui. « Forcément, nous dit Nadia Tereszkiewicz, que nous avons rencontrée. Je suis une femme qui vit en 2024. Je regarde l’époque avec le regard d’aujourd’hui. Or, cette distance permet aussi de questionner notre propre époque. »
Parmi les tristes points de comparaison, le lynchage dont va être victime Rosalie tient une place importante. Lors du dernier Festival de Cannes, où a été projeté le film en avant-première, Anna Biolay peut en témoigner. Venue faire ses débuts en tant qu’actrice, la fille du chanteur (également au casting) a été victime de telles attaques grossophobe sur les réseaux sociaux qu’elles ont poussé sa mère – Chiara Mastroianni médusée – à s’exprimer.
« Les diktats de l’apparence des femmes, tels qu’ils sont dans le film, sont encore là aujourd’hui », déplore Nadia Tereszkiewicz. Avant de nous confier : « Si j’avais 12 ans actuellement, je ne sais pas comment je vivrais mon adolescence. Toutes les jeunes femmes sont sexualisées et uniformisées. Il y a une telle recherche de la perfection qui n’existe pas dans la vraie vie. »
« La barbe n’est plus le sujet »
Dans Rosalie, l’objet du scandale, c’est une barbe, la même qu’avait Clémentine Delait, célèbre patronne d’un bar dont s’inspire l’héroïne de Stéphanie Di Giusto. Celle de Rosalie est blonde, frisée, fournie et joliment entretenue.
Symbole de la masculinité dans certains pays d’Europe, comme en Italie depuis le XVIe siècle, la barbe vaut d’abord à Rosalie la curiosité des uns, mais surtout le dénigrement des hommes, à qui « elle prend leur virilité », analyse son interprète. D’autres la traitent d’animal, de monstre. « En fait, j’ai l’impression que c’est la liberté d’être soi-même qui dérange, mais en fait qui est-ce que ça dérange vraiment ? Ce sont les autres qui projettent sur elle leur propre rapport au poil », observe l’actrice.
Rosalie, elle, s’épanouit sans tenir compte des avis sur sa pilosité, grâce à laquelle elle connecte comme par magie à son intérieur et ses vrais désirs (charnels ou de maternité). « Je trouve ce déclic très beau. C’est beau de comprendre où on est en avec notre féminité, à ce que c’est d’être femme. Et ce, sans être guidée par le regard des hommes, continue Nadia Tereszkiewicz. La barbe n’est même plus le sujet, c’est ce que ça questionne. »
Rosalie, une héroïne « queer » ?
Son personnage fait ses propres choix, interrogeant par là même les injonctions faites aux femmes, mais aussi notre rapport aux autres plus généralement. « Pourquoi doit-elle prouver à tout le monde qu’elle est une femme ? Ce que j’adore chez elle, c’est qu’elle casse les codes du genre féminin. C’est en ça que je trouve ce personnage est ’queer’ », nous déclare la comédienne.
Le terme, utilisé initialement pour insulter et dénigrer les personnes gays, lesbiennes ou trans dans les pays anglo-saxons, est désormais repris par les LGBT+ pour retourner le stigmate. Et parfois même en dehors, pour qualifier celles et ceux qui ne se retrouvent pas dans certains des codes hétéronormatifs de la société. Une ouverture du « queer » qui fait débat au sein du mouvement LGBT +.
« Pour moi, si ce mot se définit aujourd’hui par la liberté d’être celle ou celui qu’on a envie d’être, c’est-à-dire de s’autodéterminer, ne pas se labelliser et s’affranchir du regard des autres pour s’épanouir vraiment », alors oui Rosalie, l’est, abonde Nadia Tereszkiewicz. Et ce n’est pas mettre de la modernité dans un film d’époque. Clémentine Delait posait déjà ces questions-là à la veille du XXe siècle.
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