Culture

Ce film ukrainien nous rappelle que le pire de l’Histoire se répète toujours

CINÉMA – Et si ça recommençait ? Pour Sergeï Loznitsa ce n’est pas une supposition, mais presque une prédiction. Le réalisateur ukrainien est de retour en salle ce mercredi 5 novembre avec son nouveau film, Deux Procureurs. On y suit le parcours semé d’embûches d’un jeune procureur afin d’obtenir justice pour des prisonniers incarcérés à tort. Une quête irréalisable dans le régime en place des années 1930, qui pourrait lui coûter plus que ses illusions. Le parallèle avec le régime politique en place en Russie (et ailleurs) est criant.

L’an dernier, Sergeï Loznitsa – qui n’a jamais caché ses opinions sur le régime de Vladimir Poutine –, était à Cannes pour présenter son documentaire L’Invasion, dédié aux conséquences de l’invasion russe sur la population ukrainienne. Il était de retour cette année en compétition avec ce long-métrage de fiction historique, qui n’a jamais été aussi actuel.

Adapté du roman de Gueorgui Demidov, intellectuel emprisonné au goulag en 1938, Deux Procureurs se déroule en 1937. Fraîchement nommé, Alexander Kornev (joué par Alexandre Kouznetsov), jeune procureur, s’embarque malgré lui dans un combat perdu d’avance.

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Ayant reçu de la part d’un prisonnier politique le témoignage de violences et de corruption du NKVD, la police secrète, il décide d’aller vérifier par lui-même. Puis de faire cesser ce qui, il en est sûr, est une bavure isolée qui choquera aussi les plus hautes instances du parti bolchevique auquel il croit aveuglément. En vain.

Voyage en bureaucratie

Débute alors pour lui une odyssée cauchemardesque. De la prison au bureau du procureur général à Moscou, en passant par deux voyages en train presque oniriques, il s’enfonce dans un véritable cauchemar kafkaïen. La réalisation de Sergeï Loznitsa est sèche, brute, rigide, à l’image du régime qu’il dépeint. Les plans sont fixes, longs et sombres, les silences nombreux et pesants.

Kornev est baladé dans les couloirs humides et labyrinthiques de la prison par le commandant, fusillé du regard par les gardes présents en surnombre, coincé par la multitude de grilles fermées à clef. Et à Moscou, même chose. Rejoindre le bureau du procureur général et obtenir un rendez-vous se révèle être un parcours du combattant.

La bureaucratie poussée à l’extrême illustrée dans le long-métrage n’est pas anodine même si elle prête à sourire par moments. Car Kornev ne semble pas vraiment le réaliser, mais le spectateur lui, le sait : sa quête est non seulement vaine, mais elle est suicidaire. Il utilise d’ailleurs lui-même ce terme pour expliquer sa démarche au procureur général joué par Anatoli Bely.

Le totalitarisme inéluctable

Le protagoniste a, plusieurs fois, l’occasion de faire marche arrière et de renoncer. Des opportunités illustrées par des attentes interminables qui lui sont imposées au nom de la sacro-sainte bureaucratie. Mais il persiste, convaincu que « faire ce qu’il faut » est nécessaire, aveugle au danger que son idéalisme représente pour lui-même.

De fait, Deux Procureurs n’est pas une critique du régime stalinien, c’est un signal d’alarme global. Le film de Sergeï Loznitsa illustre les engrenages mis en place de manière à peine déguisée dans les régimes totalitaires, et ceux en passe de le devenir, ou de le redevenir. Et c’est un message limpide notamment dans les monologues tenus par le prisonnier Stepniak et l’homme du train à la jambe de bois. Des « oracles » tous deux joués par Alexandre Filippenko, que Kornev ne semble pas écouter.

Dans ce système, tout se sait et l’idéalisme est broyé s’il vient un tant soit peu menacer le pouvoir en place. « Nous vivons une époque troublée, vous le savez sans doute », annonce le commandant de la prison à un Alexander sourd à ses avertissements. Mais le spectateur lui, les a entendues.