Ces fans nous racontent comment ils ont réagi quand leur idole a été accusée de violences
MUSIQUE – « Même ceux à qui je croyais pouvoir faire confiance… Ça remet en cause ma foi en l’humanité », soupire Léonore*. Elle fait référence à Nekfeu, son artiste préféré, accusé de violences sexuelles et psychologiques par son ex-compagne. Des accusations niées par le rappeur, mais qui ont blessé la trentenaire, adepte de première heure de sa musique.
Un sentiment de trahison qu’elle n’est pas seule à avoir connu. Depuis le mouvement #MeToo, nombreux sont celles et ceux qui choisissent de faire le ménage dans leurs playlists, au gré des accusations ou des condamnations. Des deuils douloureux, parfois synonymes de rupture pour les fans qui doivent déconstruire des années d’idéalisation des artistes. Trois d’entre eux ont témoigné pour Le HuffPost.
Entre déni et malaise
« J’ai passé mon adolescence à écouter Lomepal, raconte Lison*. Plus vieux que moi, cheveux longs, textes un peu rap, un peu poétiques… Avec mes amies, nous étions hyper fans, mais aussi un peu amoureuses de ce mec un peu torturé, un peu mignon. » Au point que l’année de leurs 17 ans, elles passent un été à enchaîner les festivals et les concerts pour le voir sur scène le plus de fois possible.
« On avait cet amour un peu cliché mais hyper pur des adolescentes pour leurs stars préférées », raconte la jeune femme de 24 ans aujourd’hui. Alors, quelques années plus tard, quand elle entend pour la première fois parler des accusations d’agressions sexuelles et de viols à l’encontre de son chanteur préféré, elle refuse d’y croire et continue à écouter sa musique.
« Je crois à la présomption d’innocence, et je me suis raccrochée aux justifications qu’il avait données lui-même soupire l’étudiante. Je me disais que s’il avait fait quelque chose, il n’avait pas fait exprès. » Une posture qu’elle tient pendant un an, oscillant entre déni et malaise en pensant à son artiste préféré.
Un lien affectif qui mène au refus
Ce refus en bloc des accusations est un mécanisme fréquent. Bérénice Hamidi, professeure en études théâtrales et membre honoraire de l’Institut Universitaire de France, l’explique pour Le HuffPost : « Ce sont des phénomènes qui ne sont pas propres au monde de la musique, détaille la spécialiste des représentations culturelles, qui a travaillé sur les milieux du spectacle vivant, du cinéma et de la musique. La plupart des violences sexistes et sexuelles sont commises par des personnes que les victimes connaissent et aiment. Elles ont lieu dans la sphère du proche, et les agresseurs sont aussi massivement des personnes que nous connaissons et aimons. »
Aussi bien pour les artistes que pour les proches, ce lien affectif peut créer un refus. « Un fan qui refuse de voir qu’un artiste qu’il adore a commis des violences, un parent qui refuse de les voir chez son enfant… énumère la chercheuse. C’est une sorte de foi : en dépit des preuves matérielles, il y a cette tendance à croire les accusés, parce que c’est trop insupportable. On refuse d’intégrer la violence à l’image qu’on a de cette personne. »
« J’ai supprimé mes posts Instagram à ses concerts »
Quand Mediapart révèle une troisième plainte pour viol contre Lomepal, Lison n’arrive plus à tenir sa posture. « Ça a été douloureux d’envisager la possibilité que ces accusations contre lui soient vraies, se souvient-elle. J’avais plein de photos à ses concerts sur mon compte Instagram, j’ai tout supprimé. En attendant une décision de justice, j’ai du mal à arrêter complètement d’écouter sa musique – il y a encore une ou deux chansons de lui qui comptent beaucoup pour moi. Mais je les écoute avec la boule au ventre. »
Dans le cas où les accusations sont suivies d’une condamnation ou d’un aveu de la part de l’accusé, l’absence de doute peut faciliter les choses. C’est l’expérience qu’a faite Kevin, qui a longtemps été fan du groupe de rock anglais Kasabian. « En 2020, alors que j’enchaînais les concerts du groupe, Kasabian a exclu le chanteur, Tom Meighan, pour violences avouées envers son ex-fiancée », raconte-t-il.
Depuis ce jour, il n’arrive plus à écouter le groupe dont il était si fan. « Quand une chanson d’eux passe dans mes playlists, je sens le besoin de passer aux chansons suivantes. » D’autant plus que, s’il a beaucoup de respect pour la décision du groupe de l’avoir exclu, il admet que « musicalement, ce qu’ils proposent n’est plus pareil sans lui et me plaît moins ». Une rupture qu’il semble vivre avec sérénité : selon lui, « Il appartient à chacun des fans de faire la part des choses et de déconstruire le côté “idéal” de chaque artiste ».
Un sentiment de trahison
C’est peut-être plus facile à dire qu’à faire, surtout quand l’affaire est toujours en cours, que l’accusé nie les faits et qu’il semblait, dans ses textes, porter des valeurs qui nous touchent. « Nekfeu a majoritairement soulevé dans ses textes des questions plutôt de gauche, défend les LGBTQIA+, les minorités, se positionne avec les gilets jaunes… Toutes ces choses ont contribué à en faire mon artiste le plus écouté mais aussi un personnage que j’identifie comme “sain”, confie Léonore. Il s’est aussi positionné sur des questions de violences faites aux femmes, je me sentais en accord avec ses valeurs ».
Au moment où elle apprend les accusations de violences conjugales à son encontre, elle tombe donc de haut. La trentenaire, engagée pour la cause féministe, se sent en difficulté : « Je dois constamment faire un réel travail pour ne pas être complaisante envers cet artiste que j’aime beaucoup, juste sous prétexte que je l’aime beaucoup. » Elle garde ses convictions pour boussole. « C’est à la justice de faire son travail et moi, en tant que féministe, de faire ma part. » Et, à l’avenir, elle confie qu’elle se méfiera un peu plus, à regret, des « belles paroles ».
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