Cet historien explique les symboles gravés à Notre-Dame de Paris par les ouvriers
HISTOIRE – Si Notre-Dame de Paris venait à brûler à nouveau, la trace du travail des bâtisseurs de 2024 ne partirait pas en fumée. Qu’ils soient menuisiers, tailleurs de pierre, charpentiers, des centaines d’ouvriers bûchent quotidiennement sur la restauration de l’édifice religieux qui rouvrira ses portes dimanche 8 décembre, cinq ans après le terrible incendie du 15 avril 2019. Sur ce chantier d’exception, beaucoup ont apposé un symbole, un court message ou une signature, sur une pierre ou un morceau de bois, comme un héritage de leur savoir-faire destiné aux artisans de demain.
François Icher, historien spécialiste du compagnonnage et des chantiers cathédraux depuis 40 ans, a étudié ces marques d’ouvriers qui constituent une tradition depuis l’Antiquité. Dans une interview au HuffPost, l’auteur de Relever Notre-Dame – Voyage au pays des bâtisseurs (Presses De La Renaissance, 2020) navigue entre le Moyen Âge et le XXIe siècle pour décrypter ces symboles gravés sur les murs, la charpente et la flèche de la cathédrale de Notre-Dame de Paris.
François Icher : Il n’y a pas de règle. Dans le passé, les Compagnons (branche du mouvement ouvrier français, ndlr) inscrivaient généralement leur nom, une date, un symbole, un outil emblématique, une forme géométrique… Aujourd’hui, certains signent toujours, écrivent un petit message, ou glissent même une médaille entre deux poutres. Mais ces marques discrètes n’ont en tout cas rien à voir avec des graffitis, qui sont interdits sur les monuments historiques.
C’est une pratique qui arrive très tôt dans l’Histoire des Hommes. On relève déjà quelques marques dans l’Antiquité, sur les pyramides d’Égypte et plus tard, vers la fin du Ier siècle, sur les arènes de Nîmes.
Au Moyen Âge, les premières marques indiquaient la provenance de la carrière d’où venait la pierre extraite. Il y avait aussi les marques de tâcheron. L’ouvrier étant payé à la tâche, il apposait sa marque sur chaque pierre qu’il façonnait afin d’être rémunéré. Il existait également des marques d’appareillage, indiquant comment assembler une pierre à une autre.
La trace traduit simplement le passage d’un homme ordinaire sur un chantier extraordinaire. François Icher, historien
Enfin, il y a des marques plus symboliques, celles dites « de passage ». Un ouvrier tient à signaler sa venue dans un monument parce qu’il est remarquable à ses yeux. Par exemple, sur le Pont du Gard (édifié au Ier siècle, ndlr), il y a plus de 300 marques de ce type des Compagnons, qui ont voulu rendre hommage au génie des bâtisseurs de cet aqueduc. Vous avez aussi des marques de passage lorsqu’un ouvrier travaille sur un chantier prestigieux. C’est de cette symbolique que s’inspirent les restaurateurs de Notre-Dame du XXIe siècle.
En gravant son nom, l’ouvrier s’inscrit dans un maillon d’une chaîne de bâtisseurs longue de plusieurs siècles. La transmission est la première vocation de la marque. Lors d’un chantier de restauration futur, les ouvriers de demain retrouveront ainsi avec émotion la trace d’un prédécesseur.
Derrière la marque, il y a également un sentiment de fierté, qui est cependant rapidement effacé par la modestie. La trace traduit simplement le passage d’un homme ordinaire sur un chantier extraordinaire.
Non, ce n’est pas une coutume mécanique. Certains ouvriers n’osent pas graver dans la pierre d’un monument historique, souvent par pudeur.
C’est une tradition qui leur est associée, mais il y a des exceptions. Le président Emmanuel Macron a notamment symboliquement terminé la gravure du nom du général Jean-Louis Georgelin, qui a supervisé le chantier de reconstruction de la cathédrale jusqu’à sa mort à l’été 2023, sur la nouvelle flèche de Notre-Dame.
Il faut avoir un œil aguerri, car les ouvriers choisissent des endroits très discrets. Ce n’est cependant pas impossible de les apercevoir. Avant l’incendie de la cathédrale, quand vous visitiez la charpente de Notre-Dame, au départ du poinçon central de la flèche, il y avait une plaque sur laquelle était inscrit le nom d’un compagnon charpentier qui rendait hommage à Eugène Viollet-le-Duc (architecte français et concepteur de l’ancienne flèche au XIXe siècle ndlr). Cette signature était discrète et visible par peu de monde car trois-quarts des touristes ne se rendent pas dans la forêt (autre nom pour désigner la charpente, ndlr).
Oui, tout à fait. Un cordiste a, par exemple, retrouvé dans une cachette le nom gravé d’un artisan, Jean de Thoulouze, datant du XVIIe siècle.
Le Laboratoire de recherche des Monuments historiques (LRMH) effectue des relevés, qu’on appelle des tamponnages, pour créer un album photos de traces, qui grâce ou à cause de l’incendie, sont devenues visibles. Malgré les travaux de recherche, il n’est toutefois pas aisé de les interpréter, car la singularité d’une marque est qu’elle est plurielle. Pour l’historien que je suis, ces marques ont aussi une fonction de mémoire de la cathédrale. Elles représentent le dialogue entre les bâtisseurs du Moyen Âge et ceux de Notre-Dame en 2024.
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