La nouvelle protégée de Timbaland, producteur de légende, fait grincer des dents
MUSIQUE – L’industrie de la musique ne réagit pas de la même manière à l’arrivée de l’IA. La preuve en Belgique avec Damso, ou aux États-Unis avec Timbaland. Le célèbre rappeur et producteur de R&B vient de lancer son nouveau label. Il est baptisé Stage Zero et sa mission est claire : combiner la créativité humaine à celle de l’intelligence artificielle.
Plus surprenant encore. La première artiste à rejoindre ladite écurie a été dévoilée. Elle est « jeune et photogénique », d’après Rolling Stone. Mais surtout, « elle n’est pas humaine », titre le magazine musical américain. Son nom ? TaTa. On ignore pour le moment à quoi va ressembler sa musique, mais cela ne devrait pas tarder, prévient Timbaland.
« En fin de compte, l’objectif de “Tim” est d’ouvrir la voie à un nouveau genre de musique : la A-pop, la pop artificielle », raconte l’un de ses collaborateurs, le cinéaste Rocky Mudaliar, au bimensuel. Dans les colonnes de Billboard, le principal intéressé va plus loin. Il déclare ne « plus se contenter de produire des morceaux », et vouloir créer « des systèmes, des histoires et des stars à partir de rien ».
Timbaland critiqué de toutes parts
Sur Instagram, où ce dernier a partagé la couverture médiatique de cette annonce, les professionnels du secteur grincent des dents. « Je vais le répéter. Je te jure que je t’aime mon frère, mais tu n’y es pas. Tu ne réalises pas ce qui se passe dans le monde ? Ta voix est puissante et bien trop importante pour faire quelque chose comme ça », déplore Yung Guru, un ingénieur du son américain connu pour avoir collaboré avec Beyoncé, Rihanna et Mariah Carey.
Un point de vue semble-t-il partagé par le rappeur Joyner Lucas, qui a commenté la publication d’un simple « Nah ». Et Uncle Murda, d’un émoji : une poubelle. « Tu aurais pu me produire moi à la place, lance à son tour la chanteuse franco caribéenne Adi Oasis. Ou tant d’artistes extraordinaires qui s’inquiètent de leur avenir dans un monde où nous nous faisons déjà arnaquer par les services de streaming. »
Dans la presse, ce journaliste de Vice n’y va pas quatre chemins. « Cela en dit long sur les producteurs de musique de haut niveau qui veulent tellement contrôler le produit final qu’ils sont prêts à se passer complètement de travailler avec de vrais artistes humains […]. À ce stade, il suffit de faire cette putain de musique soi-même de ses propres mains, si l’on a désespérément besoin qu’elle soit quelque chose de si spécifique », fustige-t-il.
Comment Timbaland se justifie
Devant l’ampleur des critiques, Timbaland a pris la parole. « Je sais que je suis en train de troller, écrit-il sur Instagram. Mais essayons d’avoir une vraie conversation. J’aime mes artistes indépendants. Cela ne veut pas dire que je ne travaille plus avec de vrais artistes. Et non, je n’entraîne pas l’IA avec vos propres musiques. »
Sa nouvelle protégée, TaTa, a été mise au point par le biais de Suno, plateforme de génération de musique par intelligence artificielle. Combinant chant et instrumentation, celle-ci apprend à partir de morceaux préexistants. Un service au cœur de bien des critiques car il ne respecterait pas les règles de consentement des artistes et ne verse aucune rémunération aux labels, comme le déplore le RIAA.
Alors que le syndicat américain des éditeurs de musique a entraîné des poursuites contre Suno en 2024, la plateforme et sa concurrente Udio sont toutes les deux dans le viseur des géants de l’industrie Sony, Universal Music et Warner qui dénoncent eux aussi l’utilisation sans leur accord de leurs catalogues pour entraîner le système.
« Il s’est avéré que les chansons de TaTa ont été achevées plus rapidement. Il y avait quelque chose dans ces chansons qui coulaient de source. » Timbaland à Rolling Stone.
De son côté, Timbaland dit, lui, être tombée sous le charme de la voix de TaTa. Elle n’a pas l’air d’avoir eu à faire longtemps ses preuves. « Il s’est avéré que les chansons de TaTa ont été achevées plus rapidement, confirme le producteur à Rolling Stone. Il y avait quelque chose dans ces chansons qui coulaient de source. »
Le résultat produit par ces programmes peut faire sourire. Mais, comme à l’image d’une récente tendance visant à transformer des morceaux de rap en chansons franchouillardes, tout cela interroge, notamment en matière de droits d’auteur. Est-il vraiment acceptable de modifier la voix d’un artiste sans sa permission, puis d’en publier le résultat ?
Si la chanteuse Angèle s’est par le passé amusée de l’utilisation de sa voix pour les besoins d’une reprise générée par une IA, pour le morceau Saiyan de Heuss L’Enfoiré et Gazo (avant de la reprendre elle-même sur la scène de la Fête de l’Huma, en 2023), tout le monde ne semble pas aussi favorable qu’elle à cette nouvelle technologie.
En février, plusieurs grands noms de la musique, parmi lesquels Damon Albarn et Kate Bush, ont sorti un album composé entièrement de silence pour s’opposer à ce qu’ils considèrent comme un pillage de leurs œuvres. Billie Eilish, Doechii et un parterre d’autres stars avaient, elles, signé une lettre en 2024, dénonçant déjà « l’utilisation prédatrice de leurs voix » par ces IA.