La vague MeToo n’inonde pas les César malgré le discours de Judith Godrèche
CESAR – La grogne était bien présente à l’extérieur de l’Olympia, au cœur d’un rassemblement organisé pour protester contre « les violences » et « les silences » dans le cinéma. Dans la salle et sur scène, beaucoup moins. La 49e cérémonie des César s’est déroulée ce vendredi 23 février à Paris. Entre les remises de prix et les discours de remerciements, beaucoup attendaient que cette cérémonie marque un tournant. Celui de l’engagement du monde du cinéma dans la lutte contre les violences sexuelles.
Quatre ans après la soirée désormais tristement historique durant laquelle Roman Polanski avait été récompensé malgré les accusations qui pesaient sur lui, beaucoup espéraient que ce 23 février permette enfin de prendre un virage différent et progressiste, alors que les affaires de violences et les plaintes à l’encontre de grands noms du cinéma se multiplient. Il n’en a finalement (presque) rien été au cours d’une soirée plutôt marqué par des prises de paroles en faveur du peuple palestinien.
La présidente de cette 49e cérémonie Valérie Lemercier a mentionné cette nouvelle vague #MeToo dans son discours d’introduction de manière très brève, dans une petite phrase glissée entre deux blagues : « Je ne quitterai pas ce plateau sans louer celles et ceux qui font bouger les us et coutumes d’un très vieux monde où les corps des uns étaient implicitement à la disposition des corps des autres. » Lorsqu’on se souvient des mots de Sandrine Kiberlain en 2020, c’est un peu court.
Le courage de Judith Godrèche
La soirée a été marquée par un moment très fort. Judith Godrèche, qui a porté plainte pour viol contre Jacques Doillon et Benoît Jacquot, est montée sur scène recevant une standing ovation du public. Elle a longuement pris la parole afin d’évoquer les violences dont elle a été victime, mais plus globalement les violences sexuelles normalisées et tues dans le milieu du cinéma, et ailleurs.
L’actrice a parlé, sans trembler, pendant plus de cinq minutes : « Je parle, je parle, mais je ne vous entends pas. Où êtes-vous, que dites-vous ? J’imagine pourtant l’incroyable mélodie que nous pourrions composer ensemble… Je vous promets juste une égratignure sur la carcasse de votre curieuse famille. »
Et de poursuivre : « Ce n’est tellement rien comparé à un coup de poing dans le nez, à une enfant prise d’assaut comme une ville assiégée par un adulte tout-puissant, sous le regard silencieux d’une équipe à un réalisateur qui, tout en chuchotant, m’entraîne sur son lit sous prétexte de devoir comprendre qui je suis vraiment. Ce n’est tellement rien comparé à 45 prises avec deux mains dégueulasses sur mes seins de 15 ans. » Malgré l’émotion visible suscitée par son discours, le reste de la soirée n’a pas vraiment suivi le même engagement.
La vague Metoo très timide aux César 2024
Bérénice Béjo, prenant la parole immédiatement après a tout de même tenu à remercier Judith Godrèche d’avoir libéré la parole. Les discours se sont ensuite enchaînés, sans que le sujet des violences sexuelles ne soit mentionné.
Jusqu’à l’arrivée sur scène d’Audrey Diwan, venue remettre plusieurs prix. Elle aussi a tenu à aborder ce sujet, mais de manière beaucoup plus brève. « Comme vient de le faire Judith Godrèche, il en faut du courage pour trouver les mots justes, pour dire sa vérité, à voix haute devant tous. Il ne faut pas qu’on juge, il faut écouter. Il ne faut pas se battre, mais trouver un chemin ensemble. Parce que nous sommes tous d’accord, personne ne soutient les violences sexuelles. » Moment de flottement dans la salle.
Il aura ensuite fallu attendre la prise de parole d’Agnès Jaoui, César d’honneur de cette 49e cérémonie, pour que le sujet, ou tout du moins celui des inégalités, soit à nouveau abordé de manière encore plus laconique et en musique au son de son ukulélé et d’un fugace : « Bien sûr il reste deux trois choses à régler pour atteindre la parité. » Enfin, Justine Triet a corrigé, autant que faire se peut, le tir en fin de soirée.
Montée sur scène pour recevoir le prix du Meilleur film pour Anatomie d’une chute, la réalisatrice a dédié son César à toutes les femmes en général et à certaines en particulier. Elle a notamment évoqué « celles qu’on a blessées et qui se libèrent en parlant, et celles qui n’y arrivent pas ». Et c’est tout.
Annoncée comme inévitable, espérée comme un tsunami, la vague #Metoo n’a finalement pas déferlé aux César 2024. À peine a-t-elle légèrement éclaboussé les pieds des invités, embarrassés.
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