Le Goncourt remis à Kamel Daoud n’est pas une surprise, mais revêt un caractère politique
LIVRE – Kamel Daoud (enfin) couronné chez Drouant. Déjà finaliste pour le prix Goncourt en 2014 avec son best-seller Meursault, contre-enquête, l’écrivain de 54 ans a reçu, ce lundi 4 novembre, la plus prestigieuse des récompenses littéraires françaises pour son dernier roman paru aux éditons Gallimard, Houris.
« Je suis très heureux. C’est cliché, mais je n’ai pas d’autres mots », a réagi l’auteur, interrogé par les médias à l’entrée du célèbre restaurant parisien où est remis le prix depuis maintenant plus d’un siècle. Il avait face à lui une autre tête d’affiche de la littérature, Gaël Faye, et deux « outsiders », les autrices Hélène Gaudy et Sandrine Collette.
Les dix jurés saluent, eux, « un livre où le lyrisme le dispute au tragique, et qui donne voix aux souffrances liées à une période noire de l’Algérie ». Dans Houris (un terme qui désigne dans la foi musulmane les jeunes filles promises au paradis), Kamel Daoud s’attaque à un sujet sombre : la guerre civile qui a frappé le pays dont il est originaire entre 1992 et 2002.
Un récit qu’il livre à travers la voix d’Aube. Enceinte, la jeune femme raconte à la petite fille qu’elle attend le massacre de toute sa famille, une vingtaine d’années auparavant, et au cours duquel des islamistes ont tenté de l’égorger, la laissant défigurée et muette.
« Ce roman montre combien la littérature, dans sa haute liberté d’auscultation du réel, sa densité émotionnelle, trace aux côtés du récit historique d’un peuple, un autre chemin de mémoire », a soufflé le nouveau président du Goncourt, Philippe Claudel, en remettant le prix à Kamel Daoud.
Kamel Daoud et l’Algérie
Cette récompense n’est pas une surprise. L’ancien journaliste figurait comme le grand favori de cette cuvée 2024. Elle n’est toutefois pas sans revêtir un caractère politique. Houris n’a pas pu être exporté vers l’Algérie, ni même traduit en arabe. Et pour cause, la loi algérienne interdit toute évocation dans un livre des événements sanglants de la « décennie noire ».
Dans l’État qui l’a vu grandir, Kamel Daoud divise. Une partie des Algériens admire sa plume, comme l’un des patrons des éditions Barzakh, Sofiane Hadjadji, qui a publié en 2013 Meursault, contre-enquête. « Il a inventé sa propre manière d’écrire », estimait ce dernier avant que le livre soit récupéré par Actes Sud.
Pour une autre partie de l’opinion publique, en revanche, il est un traître à son pays. En Algérie, « on m’attaque car je ne suis ni communiste, ni décolonial encarté, ni antifrançais », a déclaré Kamel Daoud dans un grand entretien au Point au mois d’août. Il a été naturalisé français en 2020 et se dit, comme Apollinaire, « plus français que les Français ». Un amour pour la France qu’il a répété, ce lundi, devant la presse : « Je sais qu’on aime faire du “french bashing”, mais pour moi, ce pays-là, c’est un pays d’accueil pour les écrivains, pour les écritures et tout cela qui vient d’ailleurs ».
Un contexte diplomatique tendu
Alors que les éditions Gallimard sont interdites au Salon international du livre d’Alger, qui doit se tenir à partir de ce jeudi 6 novembre, les mots de Kamel Daoud parviennent dans un contexte diplomatique tendu entre l’Algérie et la France. Fin juillet, Paris a annoncé son « soutien renforcé » à un plan d’autonomie sous « souveraineté marocaine » pour le territoire disputé du Sahara occidental, où Alger appuie les indépendantistes du Front Polisario.
Depuis, la crise se creuse entre les deux pays. Le 1er novembre, l’Algérie a ainsi célébré, lors d’un défilé militaire de deux heures et demie, le 70e anniversaire du déclenchement de la guerre d’indépendance contre la France. Une démonstration de force pour commémorer la nuit du 1er novembre 1954, au cours de laquelle une trentaine d’attentats du FLN visant des symboles de la présence coloniale avaient fait dix morts.
Le même jour, Emmanuel Macron a, lui, reconnu « l’assassinat » du dirigeant du Front de libération nationale Mohamed Larbi Ben M’Hidi, héros national pour l’Algérie, « par des militaires français ». Un geste symbolique qui n’a pas suscité l’enthousiasme espéré. Certains y ont vu une manœuvre d’instrumentalisation de la mémoire, d’autres une manière d’éviter « la question de la responsabilité politique de ce crime d’exécution extrajudiciaire », comme l’observe cet article de Courrier International, qui cite l’historien Fabrice Riceputi.
Pas un « geste politique vindicatif »
La remise du Goncourt à Kamel Daoud n’est en tout cas pas « un geste politique vindicatif à l’encontre d’un pays ami », a tenu à souligner Philippe Claudel, selon qui cela peut toutefois « permettre de réinstaller, de recoudre des liens que certains ont trop tendance à vouloir déchirer, ou peut-être intérêt à voir déchirés ».
Plusieurs des prix remis par le passé par l’Académie ont eux aussi pu être vus à travers le prisme politique, à l’instar de Trois femmes puissantes de Marie NDiaye, très critique de la France sous Nicolas Sarkozy. Mais les jurés semblent plus friands d’œuvres romanesques, à l’image de la grande majorité des textes primés ces dernières années, comme Veiller sur elle de Jean-Baptiste Andrea, Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu ou L’anomalie d’Hervé Le Tellier.
C’est le cas depuis 1919 avec Marcel Proust, récompensé à l’époque pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs. Une attribution contestée qui, selon l’écrivain Robert Kopp dans la revue L’Histoire en 2009, aurait amorcé « un changement de goût dans la littérature » et le passage à une littérature « désengagée ». Une tendance à laquelle Houris semble toutefois déroger.
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