Culture

Loïc Prigent nous a donné sa vision de l’histoire de la mode française, « la vraie »

LIVRE – De côté le « pépiement » et autres petites phrases entendues sur les bancs de la Fashion Week. Après deux précédents livres sur les coulisses de la mode salués pour leur caractère désopilant, Loïc Prigent a signé son retour en librairie le jeudi 9 octobre avec un nouvel essai, cette fois à visée historique, sur ce milieu clinquant qu’il adore autant qu’il déteste.

Baptisée Mille milliards de rubans, son histoire de la mode (la « vraie », d’après le sous-titre du livre) publiée aux éditions Grasset revient sur un siècle fondateur, le XIXe, avec pour point de départ, une question. Pourquoi attribue-t-on à Yves Saint Laurent l’invention du prêt-à-porter et plus précisément du pantalon chez les femmes ?

Naissance des grands magasins, création de la machine à coudre Singer et apparition des tendances… Sans perdre le sarcasme de ses vidéos YouTube, le journaliste pose chapitre après chapitre les bases de cette industrie, symbole du luxe français. Mordant dans ses descriptions, le livre manque parfois d’un peu de contexte. On a voulu creuser avec son auteur plusieurs des points clés abordés.

Le HuffPost : Le sous-titre du livre interroge. Existerait-il une fausse histoire de la mode ?

Loïc Prigent : (rires) Non, l’idée était plutôt d’être dans le vrai, au sens de coller à un relatif quotidien de la mode. J’ai préféré fouiller dans les archives de journaux, comme Le Gaulois, Le Figaro et d’autres titres aujourd’hui disparus, que dans certains livres d’histoire pour voir ce qu’on portait vraiment le 12 février 1863, par exemple. Et j’y ai découvert plein de choses.

Comme la crinoline ? Vous avez décidé de dédier à cette étoffe, qui permettait autrefois de donner de l’ampleur à un jupon, le premier chapitre du livre. Pourquoi ?

L’objet n’est pas seulement fou, il est revenu sur les défilés, notamment chez Balenciaga, en 2020. Son directeur artistique, Demna Gvaslia, a repris cette notion de grand volume et de pouvoir, laissant entendre qu’un vêtement de pouvoir serait un vêtement qui prendrait le plus de place. Je ne sais pas si c’est un vêtement ou un style de vie. C’est un état d’esprit finalement.

Aussi, c’est l’un des premiers vêtements à avoir été édité à grande échelle, c’est-à-dire à des dizaines de millions d’exemplaires. On a vraiment des traces industrielles de cette structure et de l’impact que ça a eu dans les couches de la société.

Pourtant, ça avait l’air d’être un enfer à porter. Personne ne s’est jamais révolté ?

ll n’y a pas eu de rébellion féminine, mais plutôt une rébellion masculine, d’après des caricatures misogynes dans la presse. Chez les femmes, j’ai plutôt trouvé des histoires qui racontaient que certaines, d’abord mécontentes, s’en sont vite accommodées. Au départ, la crinoline était un vêtement pratique, car il était moins lourd que le style de robe précédent et parce qu’il abîmait moins les jambes par frottement. C’est ce qui est marrant avec la mode. Quand elle apparaît, on se dit toujours que c’est logique.

Des paradoxes dans l’histoire de la mode, il y en a. Comment se fait-il que la mode masculine soit si austère au XIXe siècle alors qu’un siècle plus tôt, c’était perruques et talons hauts à la cour du roi ?

Il y a des théoriciens qui disent que c’était pour laisser les femmes briller. En soirée, c’était en tout cas l’idée. Après, est-ce que les hommes n’auraient-ils pas été pris par un soudain sens pratique ? À l’heure de la Révolution industrielle, on se met à bosser. Et les rentiers, ceux qui portaient des rubans et des talons, disparaissent petit à petit.

Vous évoquez aussi l’impact du tourisme naissant dans l’apparition de nouvelles tendances en France, mais peu celui du colonialisme. Quel a été l’effet de l’impérialisme français sur la mode ?

On a vu l’arrivée de certains motifs dans le vêtement français au moment des campagnes napoléoniennes, notamment après les expéditions menées en Égypte. Il y a clairement eu des pillages esthétiques qui ont été valorisés, au sens d’un enrichissement et du langage décoratif.

L’appropriation culturelle n’est pas nouvelle. La course aux tendances, non plus. N’est-ce pas ?

On raconte que, chaque dimanche aux courses, il fallait briller de 200 000 feux. Mille, ça ne suffisait pas. Il fallait dépasser, améliorer, renchérir sur les tenues qui ont eu du succès la semaine précédente. Le privilège ultime, c’était d’avoir sa robe faite le samedi pour le dimanche. Comme ça, on était sûre d’avoir la robe dernier cri. On dit toujours que c’est la mode actuelle qui a ces défauts, mais non. On est les victimes de comportements ancestraux.

Quels vestiges du passé observez-vous toujours aujourd’hui ?

L’agenda des collections, consistant à les présenter six mois à l’avance comme l’a instauré Worth au XIXe siècle, est similaire. La présence de l’aristocratie russe et américaine, qui vient à Paris écouter l’Évangile, aussi. On le voit avec les Fashion Week aujourd’hui : la frivolité est la même.

Et les maux du monde sont toujours visibles dans la mode. Ce que fait la Fast Fashion de nos jours, c’est ce qu’on faisait à l’époque quand on faisait venir du coton des plantations américaines esclavagistes de l’époque. On consomme en sachant qu’il y a éventuellement une forme d’esclavagisme qui est intervenue dans la fabrication de ce qu’on va porter. On le sait et ça nous attriste, mais on s’en accommode très vite.

La mode suit-elle le mouvement général de la société, comme vous l’écrivez ?

Ma naïveté le croit. En tout cas, la France a un intérêt économique à ce que la mode soit vue comme la plus formidable aux yeux du monde entier.

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