Culture

Un tournage peut virer à la catastrophe et ce film (sur un film) le raconte délicieusement bien

CINÉMA – Attention, ça tourne. Chut. Zut. C’est raté. La faute à qui, encore ? Jonathan Cohen ? Depuis ce mercredi 10 janvier, l’acteur le plus bankable du cinéma français est de retour sur grand écran avec Making Of, nouveau film de Cédric Kahn dans lequel il tient un rôle qui lui sied à merveille : celui d’un comédien à l’ego surdimensionné.

À ses côtés, un casting cinq étoiles. Denis Podalydès est Simon, un réalisateur aguerri, mais à cran. Valérie Donzelli, sa femme qui est à deux doigts de le quitter. Emmanuelle Bercot et Xavier Beauvois font le sale boulot : ils sont producteurs. Souheila Yacoub joue Nadia, la jeune actrice surmotivée à qui l’on vient d’offrir son premier grand rôle.

Quant à Stefan Crepon, il est Joseph. C’est la star du film, la vraie. Enfin, de quel film parle-t-on, ici ? Sorte de film dans le film, Making-of raconte l’histoire du tournage d’un long-métrage sur le combat d’un groupe d’ouvriers qui tentent de sauver leur usine.

Venu comme simple figurant, Joseph se voit confier au dernier moment la réalisation du making-of. Joseph ne veut pas décevoir Simon. Il ne lâche jamais sa caméra et filme tout, vraiment tout de ce tournage qui, à peine après avoir été lancé, tourne aussitôt à la catastrophe. Une manière intelligente pour Cédric Kahn de filmer l’envers du cinéma, milieu lui aussi profondément marqué par les injustices sociales.

Découvrez ci-dessous la bande-annonce :

Dès le premier jour, les créanciers – deux mecs fringants tout droit sortis d’école de commerce – se retirent du projet. Marquez (Xavier Beauvois) leur avait menti sur la fin du scénario. Eux voulaient un « happy end », un truc optimiste. Malgré la pression, Simon n’en démord pas. Pas question de toucher à son script. Les deux hommes claquent la porte, leur million d’euros avec eux.

Ça commence mal. Comme sur le plateau, où Alain (Jonathan Cohen) prend très à cœur d’être le premier rôle, peut-être un peu trop. À sa demande, Nadia (Souheila Yacoub) se voit retirer une scène majeure. Elle est dégoûtée, mais ne dit rien. Du moins, pour l’instant , car ce ne sera pas la seule.

Making Of brouille les frontières

Alors que les tensions entre les deux stars du film s’exacerbent, l’argent, lui, commence sérieusement à manquer. Que faire ? Baisser la masse salariale, couper dans le scénario ou revoir les conditions de travail du reste de l’équipe ? Comment Simon va-t-il leur annoncer qu’ils filent droit dans le mur ?

Les techniciens ne sont pas dupes. La gronde arrive. Travailler gratuitement jusqu’à la fin du tournage ? Pas question pour eux, contrairement à Simon, de toute évidence bien plus blindé qu’eux. Il exige qu’on continue l’aventure au nom de l’art et de toutes ces vies dont s’inspire le film. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Et vlan : une droite se perd.

Les rapports de classe ne sont plus seulement le sujet du film de Simon, ils deviennent celui de Cédric Kahn. Dans Making-of, nouveau film du réalisateur du Procès Goldman, les frontières se brouillent. En revanche, rien de tout ça n’est dramatique. Au contraire, la tournure que prend ce tournage est délicieusement drôle à regarder. « Ma priorité était de faire une comédie, en aucun cas dénoncer quoi que ce soit, ni être dans un esprit de sérieux », explique le cinéaste dans les notes de production.

Le pari d’une comédie de Cédric Kahn

Cédric Kahn baigne dans le milieu du cinéma depuis qu’il a 20 ans, âge auquel il a obtenu son premier stage. « J’ai eu l’occasion et le temps d’observer et j’y observe des choses, des situations un peu folles qui se produisent au nom de la création », continue-t-il. Avant d’ajouter : « Ce que je pensais quand j’avais 20 ans, je le pense toujours : ce sont toujours les mêmes choses qui me heurtent et qui m’émerveillent. »

Ça tourne à Manhattan, La nuit américaine, Les ensorcelés… Des films sur des histoires des tournages, il en existe un tas. Making-of, lui, n’est pas un film sur le cinéma en tant qu’objet d’art ou de fantasme, mais sur le cinéma en tant que travail, prône son réalisateur.

Ce qui l’intéressait, ici, c’était d’entrer dans cette industrie par un angle politique et social. « La mythologie du cinéma ne m’intéresse pas, la sociologie des tournages, oui, renseigne Cédric Kahn. Je voulais montrer les rapports un peu délirants qui peuvent se nouer autour d’un tournage, la pâte humaine. » Pari réussi, en plus d’être amusant.

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