« Valeur sentimentale » a tout pour plaire au jury du Festival de Cannes (et à nous aussi)
FESTIVAL DE CANNES – La troisième fois c’est la bonne ? Le réalisateur norvégien Joaquim Trier est en compétition au Festival de Cannes, comme déjà en 2015 et 2021, avec son nouveau film Valeur sentimentale. Affeksjonsverdi, dans sa langue originale, pourrait bien remporter la Palme d’or. Et ce n’est pas la standing-ovation de 19 minutes — le record cette année — qui nous contredit.
Il faut dire que Valeur sentimentale a tout pour séduire les cinéphiles et membres du jury sur la Croisette. Joaquim Trier signe un film semi-autobiographique, avec l’excellent Stellan Skarsgård en père absent et réalisateur très occupé pour son nouveau projet censé relancer sa carrière. Gustav demande à sa fille aînée Nora, comédienne de théâtre à succès, de jouer le rôle principal qu’il a écrit pour elle.
Mais cette dernière, l’incroyable Renate Reinsve (Julie (en 12 chapitres), La Convocation), muse de Joaquim Trier, refuse. Et elle a de quoi : son père réapparaît par opportunisme au décès de leur mère, des années après avoir abandonné Nora et sa petite sœur Agnes (Inga Ibsdotter) depuis le divorce.
Sans se remettre en question, Gustav décide finalement d’embaucher Rachel Kemp (Elle Fanning), une jeune actrice américaine en vogue, pour jouer le rôle. Et histoire de brouiller encore plus les frontières entre son film et sa fille, il décide de tourner dans la maison familiale.
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On ne choisit pas sa famille
Les murs ont une histoire et ceux-ci en regorgent. La magnifique maison norvégienne est un personnage à part entière de Valeur sentimentale. C’était même le sujet de dissertation de la jeune Nora à l’école, qui déjà à l’époque avait saisi que sa fissure ne se limitait pas au bâtiment. Joaquim Trier maîtrise l’art de mettre en scène les rapports humains.
La Nora adulte préfère rester à distance de ce père avec qui elle ne peut pas parler, et encore moins travailler. Agnes, elle, n’ose pas le confronter et lui accorde plus de tolérance. La relation entre les deux sœurs est tout aussi importante que celle avec leur père. Si dans les flash-back de leur enfance, Nora prenait soin d’Agnes, la dynamique s’est inversée à l’âge adulte. Paradoxalement, la benjamine semble mieux armée, alors que l’absence de reconnaissance de leur père empêche Nora d’avancer.
Renate Reinsve et Inga Ibsdotter touchent en plein cœur avec leur interprétation sensible. Le réalisateur sait créer des personnages multidimensionnels, et les actrices le lui rendent bien. En comparaison, celui de Rachel paraît (volontairement) une pâle doublure de la complexe Nora. Elle Fanning joue à merveille l’erreur de casting. Rachel fait de son mieux, se teint les cheveux et tente même d’adopter un accent norvégien mais sait qu’elle n’est pas à sa place dans ce film ni cette maison.
Stellan Skarsgård nous a bluffé dans la peau de Gustav, plus émotif qu’il ne le laisse paraître. Comme toujours lorsqu’il s’agit de famille, le trauma intergénérationnel vient de quelque part, en l’occurrence du suicide de sa mère. Le Prix d’interprétation serait amplement mérité pour l’acteur suédois.
Mise en abyme
En plus d’explorer les dynamiques familiales, Valeur Sentimentale regorge de clin d’œil à l’industrie du spectacle. Le film s’ouvre avec une scène hilarante dans les coulisses d’un théâtre, où Nora tente de fuir en pleine crise de panique avant de monter sur scène. On découvre la célébrité de Gustav alors qu’il est invité au Festival de Deauville pour une rétrospective sur sa carrière. Les spectateurs dans la salle regardent son film culte, pendant que l’on regarde celui de Joaquim Trier. Ce ne sera pas la seule mise en abyme.
Les scènes comiques ont déclenché de grands éclats de rire lors de la projection presse à Cannes, et ce n’est pas surprenant. Car Joaquim Trier fait de l’humour de cinéphile. Gustav est un réalisateur d’une autre époque, qui offre des DVD de La Leçon de piano à son petit-fils de 9 ans et ne comprend pas que son film, produit par Netflix, puisse sortir ailleurs qu’au cinéma. Lors d’une interview, il s’en prend au journaliste et l’insulte de « troll de TikTok », mécontent de ne plus pouvoir faire valider les questions comme dans sa jeunesse.
Même l’amitié entre Gustav et son producteur rappelle celle entre Joaquim Trier et Eskil Vogt, le scénariste avec qui il travaille depuis toujours. Le public cannois est en tout cas conquis, et il y a fort à parier que le jury du festival le soit aussi. On a un peu plus de doute sur la capacité de Valeur sentimentale à toucher autant le grand public à sa sortie le 20 août prochain. D’ici là, il aura peut-être été récompensé d’une Palme d’or.
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