Divertissement

Comment Miss France est devenu le royaume du « féminisme washing »

SEXISME – Il y a certaines choses sur lesquelles on peut toujours compter lors d’une soirée de Miss France : les blagues un peu gênantes de Jean-Pierre Foucault, les costumes régionaux hauts en couleurs, beaucoup de cadeaux Saint Algue, et, depuis quelques années, au moins une question sur le féminisme.

Sept ans après l’explosion du mouvement #MeToo et la remise en question du sexisme de nombreuses industries, le concours de beauté semble de plus en plus en décalage avec son époque. Depuis plusieurs éditions, les organisateurs de Miss France ont donc essayé de se mettre à la page, multipliant les annonces, les changements de règles, et les messages sur le féminisme supposé du programme.

Jusqu’à clamer, comme l’a fait Ève Gilles, détentrice actuelle de la couronne, dans une interview à Brut en septembre, qu’il « n’y a rien de plus féministe » que Miss France. Des efforts qui peinent à convaincre face à un concours mettant en compétition des femmes sur des critères (en très grande partie) physiques.

« Des standards de beauté réducteurs »

Les changements de critères dans la sélection des Miss font partie des mesures les plus médiatisées prises par le concours pour être un peu plus en accord avec son temps. Depuis juin 2022, la compétition est ainsi ouverte aux femmes tatouées, mariées, divorcées, mères de famille, et ce, quel que soit leur âge – la doyenne de la compétition pour Miss France 2025 a l’âge canonique de 34 ans, une première dans l’histoire de l’émission. Parmi les critères toujours en place, on retrouve la taille – il faut faire au moins 1m70 pour des raisons « pratiques » liées à l’essayage des robes – ainsi que le fait de n’avoir jamais participé à des séances photos dénudées.

Elsa Labouret est porte-parole d’Osez le féminisme !, l’association qui a poursuivi la production de Miss France devant les Prud’hommes pour « processus de recrutement discriminatoire et illégal » (une procédure qui a été déboutée en 2023 par la justice). Pour elle, ces changements de critères, qui ont justement fait suite à l’action de l’association, sont très cosmétiques. « Fondamentalement, on reste sur une femme jeune, grande, plutôt fine, même si le poids n’est pas un critère d’entrée cela reste constant, détaille-t-elle au HuffPost. On voit bien que les femmes qui sont dans le concours sont toutes sur le même modèle. »

Car quels que soient les critères, Miss France est un concours qui met en compétition des femmes les unes contre les autres. Et qui le fait, qui plus est, selon des « normes très hétérocentrées et hétéronormées », comme le souligne Hélène Breda, maîtresse de conférences à la Sorbonne et spécialiste du genre dans la pop culture. « Il y a cette idée de femmes traitées comme des beaux objets, qu’on expose, qu’on évalue à travers une grille de lecture très normative et très étriquée, avec des standards de beauté réducteurs », résume la chercheuse.

Un regard masculin malgré un jury de femmes

« Cela pose la question du bien-fondé de juger des personnes sur leur apparence physique, poursuit Hélène Breda. Surtout que cela a beaucoup plus de retentissement quand on le fait pour des femmes. Parce que les concours pour hommes existent, mais c’est incomparable en termes de visibilité et de couverture médiatique. On reste durablement empêtrés dans des logiques d’évaluation des femmes qui ont du mal à évoluer. »

Face aux critiques qui l’accusent de sexualiser le corps des femmes pour le regard masculin, le concours a trouvé la parade : cette année comme l’an passé, le jury de célébrités est 100 % féminin. Une situation qui n’était pas nécessairement voulue si l’on en croit le président de la société Miss France qui a expliqué au Parisien avoir « lancé pas mal de pistes hommes et femmes », sans succès du côté masculin. Peut-être « est-ce devenu compliqué pour un homme d’être juré Miss France depuis la vague #MeToo », s’interroge-t-il.

Il n’empêche, ce jury composé de femmes donne un argument aux défenseurs du programme, qui soulignent que les Miss ne seront pas jugées par un regard masculin. Un argument qui peine à convaincre Elsa Labouret : « Les femmes peuvent tout à fait mettre en œuvre des dynamiques sexistes, rappelle-t-elle. On peut être sexistes les unes envers les autres. Avoir un jury de femmes, c’est une caution, mais on n’adresse pas les problèmes fondamentaux. » Un constat partagé par Hélène Bréda qui rappelle que « le regard qu’on va poser sur ces corps a été formé, depuis des générations et y compris lorsqu’on est une femme, par le désir masculin ». De quoi expliquer, sans doute, le modèle de beauté très uniforme présenté dans le concours.

Un outil d’émancipation ?

Bien conscient de toutes ces contradictions, le concours inclut désormais une question sur le féminisme dans les moments d’échanges avec les cinq finalistes. Une séquence qui donne souvent lieu à des échanges assez naïfs sur l’émancipation des femmes. Comme lorsqu’une candidate à Miss France 2024 s’est vue demander ce que signifiait pour elle la phrase de Simone de Beauvoir, « on ne naît pas femme, on le devient ». Sa réponse ? Une femme doit prendre « chacune de ses expériences pour pouvoir se former au mieux et avoir une vie de rêve le lendemain ».

Un moment de dissonance qui souligne surtout l’opportunisme d’un concours qui tente de surfer sur des références féministes pourtant incompatibles avec son ADN. « C’est du pur féminisme washing, estime Elsa Labouret. Si on voulait faire une parodie, on ne pourrait pas faire mieux. »

Du côté des Miss elles-mêmes, pourtant, la même rengaine revient souvent. Le concours leur a offert une plateforme inespérée. C’est « un tremplin incroyable dans la vie d’une femme », résume Ève Gilles dans son interview à Brut. Même son de cloche du côté de Diane Leyre, Miss France 2022, qui déclarait au lendemain de son élection : « Je ne me suis jamais sentie aussi féministe que sur scène ce soir, à prendre le pouvoir de ma vie. Parce que c’est ça pour moi, le féminisme. »

Difficile de nier l’impact de l’élection Miss France sur la vie des jeunes élues. Mais une belle histoire pour une femme n’est pas forcément synonyme d’avancée pour toutes les femmes : « Le féminisme n’est pas une sensation individuelle, c’est un mouvement social et politique qui veut la libération de toutes les femmes, rappelle Elsa Labouret. Il ne suffit pas de se sentir bien et de s’émanciper soi-même. Prenons du recul sur l’impact sociétal : est-ce que ce concours contribue à la libération de toutes les femmes ? Pour nous, la réponse est “non”. »

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