Economia

Avec « C’est Nicolas qui paie », l’extrême droite adoube un cheval de Troie raciste

POLITIQUE – Des tréfonds de la fachosphère aux estrades politiques, en passant par les plateaux de télé. Depuis plusieurs semaines, des élus et personnalités politiques se piquent d’utiliser le mème « C’est Nicolas qui paie ». Au risque d’adouber une image véhiculant un stéréotype raciste sous couvert de critiquer la répartition sociale en France. Le député UDR, allié de Marine Le Pen, Éric Ciotti s’en amusait encore ce week-end sur X.

Même Jean-Luc Mélenchon a été questionné au sujet de ce fameux « Nicolas » imaginaire sur le plateau des Grandes Gueules – sans vraisemblablement savoir de quoi il en retournait. À raison, car la figure de Nicolas – prénom qui a connu son heure de gloire en 1980 où il a été donné près de 22 000 fois – est aujourd’hui essentiellement prisée de la droite et de l’extrême droite.

Il symbolise un homme, trentenaire, salarié et caucasien qui « paierait » pour tout le monde. Une sorte de victime absolue de l’État social, traitant plus avantageusement les retraités et les minorités que les pauvres gentils actifs « de souche ». Pour cette partie de l’échiquier de politique, ce contribuable a le mérite de répondre à deux de leurs marottes principales : le « ras-le-bol fiscal » et l’immigration (en sus de l’obsession des prénoms).

Et dans un contexte où le consentement à l’impôt et à la fiscalité est de plus en plus difficile, comme l’ont documenté plusieurs études, rien de mieux qu’un mème simpliste pour faire office de parfait cheval de troie.

D’où vient « Nicolas » ?

Derrière ce « Nicolas », se trouve en réalité un mème moquant le « contrat social » (les règles et usage qui régissent la vie d’une collectivité) proposé aux citoyens français. La plus vieille occurrence du mème qu’a pu retrouver Le HuffPost date d’avril 2020, comme vous pouvez le voir dans la capture d’écran ci-dessous, issue sur compte « bisounours », très peu actif depuis 2022.

L’idée est claire, Nicolas « paie » notamment pour que des retraités, Bernard et Chantal, 70 ans, puissent partir en croisière « Costa ». Ce qui est vraisemblablement pointé ici, c’est le système de retraite par répartition de la France, où ce sont les actifs qui financent les pensions.

Si cet aspect du mème peut, quoiqu’assez grossièrement, poser la question du financement des retraités et de leur niveau de vie moyen en comparaison du reste de la population, son second volet véhicule un imaginaire ouvertement raciste.

Car, de l’autre côté, Nicolas « paierait » aussi pour que Karim, 25 ans et bénéficiant des aides sociales (cf. les logos du RSA et des allocations familiales), puisse envoyer de l’argent via Western Union, en Afrique. Oubliant au passage, un peu trop rapidement, et comme le signale d’ailleurs Alexis Spire, sociologue au CNRS et spécialiste de la fiscalité, que les classes populaires paient aussi des impôts.

« Les impôts qui pèsent davantage sur les classes populaires (…) sont des impôts indirects, c’est des impôts dont on parle beaucoup moins. Et ce n’est pas du tout parce qu’ils rapportent peu, au contraire, la TVA rapporte beaucoup plus que l’impôt sur le revenu (…) En oblitérant complètement ces prélèvements (…) on peut même entretenir le mythe ou l’illusion qu’une partie de la population ne paye pas d’impôts, ce qui est une ineptie en fait », rappelait-il sur France Culture. Dit autrement, Karim aussi « paie » pour les autres.

Un prénom étranger, à dessein

Le choix du prénom maghrébin et de la carte n’ont rien d’anodins tant ils font écho aux obsessions de l’extrême droite en ligne. Nos confrères de Libération ont d’ailleurs judicieusement repéré que la carte du continent africain est tirée d’un planisphère des “QI mondiaux”, dont raffolent les partisans des théories racialistes, à l’instar du député ciottiste Alexandre Allegret-Pilot.

Gage que la désignation de l’étranger n’a rien d’un hasard, il suffit de se pencher sur l’un des comptes X qui a particulièrement popularisé ce mème, un certain Bouli, plus de 100k followers au compteur. En 2023, il repartage l’image, puis liste ses déclinaisons dans d’autres pays. Au Royaume-Uni, Nicolas devient Nick, en Allemagne Bernd, quand en Irlande il s’appelle Sean. Quasi systématiquement, Karim est remplacé par une personne non blanche, au prénom à consonance étrangère (Ahmed, Baba), ou issue de minorités.

De fait, le prénom occupe une place de choix dans les sphères d’extrême droite. Avant qu’Éric Zemmour ne soit condamné pour avoir dit à Hapsatou Sy que son prénom était « une insulte à la France », Alain Juppé a été en 2016 la cible d’une campagne de la fachosphère l’accusant de proximité avec l’islamisme radical et le surnommant dès lors « Ali Juppé ».

Le mème de l’union des droites ?

Si la nouveauté est désormais que les politiques, de droite et au-delà qui plus est, se saisissent publiquement de « Nicolas », l’image circule, elle, depuis des années donc. À tel point, qu’elle a même donné lieu à la création d’un compte X intitulé « Nicolas qui paie ». Interrogé au début du mois par nos confrères de 20 Minutes, son créateur se défendait de toute image raciste en évoquant des personnages « fictifs et caricaturaux », tout en pointant néanmoins le « cosmopolitisme débridé » de la gauche.

Plus récemment sur son compte, il semblait réclamer la suppression de l’AME, du chèque psy ou encore du remboursement des transitions de genre. Soit, effectivement, des positions partagées chez Reconquête ou l’Union des droites.

Sans surprise, les têtes de gondoles nationalistes ont bien saisi l’appel du pied. Mardi soir, le Sommet des libertés – grand raout organisé sous l’impulsion des milliardaires d’extrême droite Vincent Bolloré et Pierre-Édouard Stérin, a réuni des membres du RN, de Reconquête, de LR, et autres personnalités conservatrices. À cette occasion, les comptes X de C’est Nicolas Qui Paie et de Bouli, qui ont comme autre point commun de partager des contenus libertariens et admiratifs de Javier Milei, ont été salués personnellement par Sarah Knafo. Selon l’eurodéputée Reconquête, c’est grâce à ces comptes que se « gagner[a] la bataille culturelle ». Une image vaut parfois mille maux.