Economia

François Bayrou dans le piège de ses premières colères sociales

POLITIQUE – Baptême des feux. Cinq mois après sa nomination, François Bayrou est confronté à ses premières véritables colères sociales. Les chauffeurs de taxis sont dans la rue depuis dix jours, tandis que certains syndicats d’agriculteurs se mobilisent de nouveau jusqu’aux abords de l’Assemblée nationale.

Deux crises sectorielles aux racines certes différentes. Les premiers dénoncent les nouvelles règles tarifaires prévues pour le transport des malades, quand les seconds poussent pour l’adoption d’un texte qui réautorise notamment l’usage de certains pesticides interdits. Mais avec un point commun malgré tout : elles mettent le Premier ministre sous pression, en illustrant sa fragilité à Matignon.

François Bayrou est effectivement contraint de déminer des crispations sensibles, sans grandes marges de manœuvre sur les pentes de son Himalaya de difficultés. Que ce soit sur le versant politique, avec un bloc central minoritaire et divisé, ou le versant économique, avec des alertes qui s’accumulent avant la saison budgétaire.

Aveu de faiblesse à l’Assemblée…

Concernant les agriculteurs, tout d’abord, et la « loi Duplomb », qui cristallise toutes les tensions ce printemps. Le gouvernement est à la peine pour afficher une position commune sur ce texte porté par un sénateur LR et largement décrié jusqu’en Macronie. Il promet notamment la réintroduction dérogatoire d’un insecticide de la famille des néonicotinoïdes, un nouveau rôle pour l’agence sanitaire nationale (Anses), la facilitation du stockage de l’eau dans les bassines controversées ou de l’agrandissement des bâtiments d’élevage.

Pour l’heure, François Bayrou reste discret sur ce dossier explosif. Mais les dirigeants du parti qui le soutiennent à Matignon, dont le chef du groupe MoDem à l’Assemblée Marc Fesneau, semblent prêts à pousser le texte coûte que coûte, dans le sillage de la ministre de l’Agriculture Annie Genevard (LR). Ils s’apprêtent effectivement à voter une motion de rejet préalable à l’Assemblée nationale, sous la pression des syndicats FNSEA et Jeunes agriculteurs, qui manifestent encore ce lundi devant le Palais Bourbon.

Surprenant ? Il s’agit, pour le bloc central et la droite, d’enjamber les débats dans la chambre basse du Parlement, et éviter le risque d’un détricotage du texte par les groupes de gauche et une partie des députés MoDem et Renaissance, vent debout contre cette « capitulation politique » et ces « reculs écologiques. » Un aveu de faiblesse qui ne sera pas sans conséquence.

Si les dirigeants du bloc central et de la droite dénoncent l’obstruction de la gauche (avec ses quelque 3.500 amendements), leur manœuvre risque de provoquer un durcissement inévitable du projet. Si la motion de rejet est adoptée ce lundi en fin d’après-midi, c’est une Commission mixte paritaire qui aura le dernier mot, en partant de la version votée par la droite majoritaire au Sénat. Un crash spectaculaire serait alors toujours possible à l’Assemblée, où le texte sorti de la CMP devra être définitivement validé. Pas simple.

… Puis avec les taxis ?

En parallèle, François Bayrou se montre plus allant sur un autre front, tout aussi complexe : celui des chauffeurs de taxi. Après une semaine de manifestations, le Premier ministre a reçu plusieurs représentants du secteur au ministère des Transports, samedi, pour leur promettre in fine de retravailler le projet de réforme de la tarification du transport de patients, cible (entre autres) de la grogne actuelle.

Le symbole, là aussi, de larges difficultés pour le locataire de Matignon, contraint qui plus est par une situation budgétaire quasi-impossible. De fait, le gouvernement propose une nouvelle version de cette grille pour le 1er octobre, afin de limiter la croissance des dépenses de transport sanitaire qui ont atteint 6,74 milliards d’euros en 2024, dont 3,07 milliards pour les taxis conventionnés. Soit un bond incontrôlable de 45 % depuis 2019.

« Nous pouvons - nous avons le devoir, même - de faire des économies sans diminuer la réponse apportée aux patients qui en ont le plus besoin », a encore martelé la ministre de la Santé Catherine Vautrin dans les colonnes de La Tribune Dimanche, au lendemain de l’entretien du Premier ministre avec les taxis. Comme un avant-goût des grandes manœuvres budgétaires et le plan d’ensemble qui doit être présenté avant le 14 juillet.

Dans ce contexte, le Premier ministre prend donc le risque d’envoyer un signal délicat pour sa volonté et sa crédibilité à réduire les déficits publics, en envisageant une reculade sur un dossier à 150 millions d’euros d’économie maximum. Ceci, à l’heure où la Cour des comptes tire – de nouveau – la sonnette d’alarme sur la trajectoire financière de la sécu. L’instance présidée par Pierre Moscovici évoque ce lundi 26 mai un risque « de plus en plus sérieux de crise de liquidité » à partir de 2027. Une énième alerte qui contraint toujours davantage le jeu de François Bayrou.