Economia

L’assurance chômage bientôt nationalisée ? « L’objectif, c’est de réduire les dépenses »

EMPLOI – Les bourreaux du travail. Depuis plusieurs mois, le gouvernement multiplie les hameçons sur de nouvelles réformes autour de l’assurance chômage, des indemnités et du travail. La semaine dernière, le Premier ministre Gabriel Attal, disait vouloir organiser mi-mars un séminaire sur le travail pour prendre des « décisions difficiles ».

Cette semaine, Bruno Le Maire a carrément allumé la mèche chez les syndicats en évoquant dans Le Monde une « reprise en main » de l’assurance chômage (l’association paritaire gérée par l’Unédic et chargée d’indemniser les personnes qui ont perdu leur emploi).

Un préambule à une « catastrophe sociale » pour Denis Gravouil, de la CGT, qui pourrait même conduire à la « destruction » du régime en France, selon le secrétaire national à la CFDT, Olivier Guivarch. Le HuffPost fait le point avec Michaël Zemmour, économiste à l’université de Lyon II au laboratoire triangle, et chercheur associé au LIEPP.

Le HuffPost : Dans une interview au Monde, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a estimé que l’État devait « reprendre la main sur l’assurance chômage de manière définitive ». Qu’entend-il exactement par là ?

Michaël Zemmour : Il s’agit d’une étatisation ou d’une nationalisation de l’assurance chômage. En théorie, elle est gérée en négociations par les partenaires sociaux, syndicats et patronat à parité, qui sont administrateurs de l’Unédic. Or depuis 2018, l’État encadre cette gestion avec des lettres de missions ou de cadrage qui demandent des économies considérables et très rapides, et qui sont régulièrement dénoncées comme « intenables ».

Très régulièrement depuis six ans, l’État constate les carences et gouverne donc l’assurance chômage par décret. Mais il y a en amont l’idée de mettre en échec une négociation sociale dont on sait qu’elle n’aboutira pas. Ce que laisse entendre donc Bruno Le Maire en reprenant une idée de Macron datant de 2016, c’est qu’il veut reprendre le contrôle total de l’assurance chômage, probablement en passant par une loi de financement de la sécurité sociale. Elle aussi passée dans le giron du gouvernement depuis une vingtaine d’années.

Bruno Le Maire a dit vouloir faire 20 milliards d’économie en 2025, la reprise en main de l’assurance chômage par l’État peut-elle faire partie des leviers dans le viseur du ministre ? En réduisant les indemnités ?

L’assurance chômage ça représente de l’ordre de 40 à 45 milliards. Ce n’est pas là qu’il y a une source d’économies très importante à faire, il n’y a pas beaucoup à « couper ». Ça peut représenter quelques milliards mais ça voudra surtout dire qu’il y aura eu un très gros coup de cutter. En 2018, le gouvernement avait demandé aux partenaires sociaux de faire 3 milliards d’économie en trois ans, c’était intenable.

Du côté des indemnités, ce qu’on peut dire c’est qu’il y a du côté de l’exécutif, une politique cohérente d’appauvrir les personnes hors de l’emploi, ça va avec l’idée qu’elles soient moins exigeantes sur leurs conditions de travail et leur salaire. Comme pour les retraites, l’objectif c’est de réduire les dépenses sociales.

Je rappelle qu’on en est par ailleurs à la troisième réforme récente du chômage. Qu’aucune n’a été évaluée. Le seul point de continuité ce sont les économies et la pression sur les chômeurs. Dans la dernière réforme, on a raccourci la durée d’indemnité car la conjoncture était meilleure. Or, là, la conjoncture s’est dégradée mais on veut encore réduire les dépenses sociales.

Qu’est-ce qu’une « étatisation » de l’assurance chômage impliquerait pour les assurés ?

C’est plutôt une question de vision. Sur le temps long, l’État et les syndicats ne voient pas l’assurance chômage de la même manière. Pour les salariés, c’est une sécurité sociale, un maintien du salaire quand on en est privé d’emploi, cela a d’abord un rôle de stabilisation pour retrouver un emploi et ne pas subir de perte de revenu.

Pour les gouvernements, c’est d’abord un outil politique du marché du travail avec le côté incitation-sanction.

Justement. Le gouvernement travaille sur une réduction des indemnités pour les seniors. Dans Le Monde, Bruno Le Maire insiste sur le fait que la France a « une durée d’indemnisation la plus longue parmi les pays développés ». Réduire les indemnités des chômeurs, cela a-t-il vraiment une incidence sur le retour à l’emploi ?

Quand on arrive en fin des droits au chômage, l’activité de recherche d’emploi se fait plus intense et on baisse ses standards. Les gens qui retrouvent un emploi en fin d’indemnisation trouvent des emplois qui leur correspondent moins. On n’a pas de preuve que ça réduit le chômage, mais en revanche les conséquences sont très claires sur les conditions de vie : de l’appauvrissement. Un tiers des chômeurs sont sous le seuil de pauvreté, moins de la moitié des chômeurs sont indemnisés. Et derrière ces personnes ce sont aussi des familles, des enfants…

Les organisations syndicales sont déjà vent debout après la déclaration de Bruno Le Maire. Que changerait pour elles une éventuelle « étatisation » de l’assurance chômage ?

C’est un enjeu très important pour elles. Les assurances sociales contribuent à donner du poids aux syndicats, qui ont un nombre relativement limité d’adhérents. De fait, en France, on n’a pas besoin d’être syndiqués pour bénéficier de la protection des syndicats. Ils ont deux éléments de force principaux : la capacité de mobilisation et la gestion des assurances sociale. L’étatisation contribuerait donc à diminuer leur surface politique et leur financement.

C’est cohérent avec le premier programme de Macron en 2017 qui voulait passer outre les corps intermédiaires. Et c’est cohérent avec les épisodes récents, notamment sur la réforme des retraites, où il n’y avait pas de volonté de trouver un compromis avec les interlocuteurs sociaux. Est-ce que cela générera une importante mobilisation ? Difficile à dire pour le moment, mais tout le monde peut être au chômage dans sa vie.

À voir également sur Le HuffPost :