Le « modèle soviétique » ? En quoi consistent (vraiment) les prix planchers en agriculture
POLITIQUE – Le salon de l’agriculture, et du kolkhoze ? Depuis qu’Emmanuel Macron a ouvert la porte à des « prix planchers » pour les paysans, samedi 24 février, en inaugurant sous très haute tension le salon de la profession porte de Versailles, le gouvernement s’essaie à un service après-vente osé.
Le président de la République a effectivement fixé comme « objectif » à Gabriel Attal et à ses ministres de faire aboutir « ces prix planchers qui permettront de protéger le revenu agricole et de ne pas céder à toutes les pratiques les plus prédatrices », un système ardemment défendu par la gauche. Au premier rang, les Insoumis se félicitent que « la lutte paie. »
Le parti mélenchoniste rappelle avoir proposé au vote, fin novembre, un texte visant à encadrer les marges des distributeurs, de l’industrie agroalimentaire, et à instaurer des prix planchers « plus rémunérateurs » pour les agriculteurs. Mais pour le gouvernement, cela n’a rien à voir avec ce que le chef de l’État envisage.
La proposition LFI, « c’est l’économie soviétique »
Dimanche soir, lors d’une visite imprévue au salon porte de Versailles, Gabriel Attal a ainsi défendu des « règles » pour « protéger » les paysans, mais en expliquant que l’agriculture ne doit « pas être l’URSS ». Une critique implicite des propositions de la gauche et des insoumis. Avant lui, les ministres de l’Agriculture, ont usé du même argument.
« LFI proposait le fait qu’au début d’année, le gouvernement décide d’un prix fixe, par exemple le prix du lait c’est 1,20 € du litre, ça, c’est un truc de système soviétique », a critiqué Marc Fesneau dimanche sur CNews et Europe 1, et « ce n’est pas tout à fait » ce que le président a annoncé samedi. « Notre proposition n’a rien à voir avec la leur. La leur, c’est l’économie soviétique, ajoutait sa ministre déléguée Agnès Pannier-Runacher sur France 3, à savoir « on donne le prix de ce que vous allez acheter au supermarché. »
Qu’en est-il réellement ? Le président de la République a expliqué au salon que ces « prix planchers » – « la chose la plus engageante qu’on ait jamais faite » selon ses mots – seront fondés sur des indicateurs déterminant ce que coûte à un agriculteur la production d’un kg de viande bovine ou mille litres de lait. Ces indicateurs, filière par filière, seraient « opposables » dans les négociations entre les acteurs de l’alimentation.
Or, force est de constater que cette ébauche se rapproche de la proposition des insoumis en la matière. Dans son texte à l’automne dernier, le parti mélenchoniste, souhaitait que « la conférence publique de filière détermine un niveau plancher de prix d’achat des matières premières agricoles aux producteurs en prenant en compte » plusieurs indicateurs déjà écrits dans le code rural et de la pêche maritime.
Les prix planchers existent déjà (et pas qu’en Russie)
« La propriété agricole soviétique était collectivisée. Nous ne le proposons pas », rappelle au passage Jean-Luc Mélenchon sur les réseaux sociaux, en moquant une macronie qui « répète des éléments de langage dont elle ne comprend pas le sens ».
Surtout, ces mécanismes de « plancher » existent déjà en France. Dans le cadre des lois Egalim, censées protéger le revenu des agriculteurs, les organisations fédérant producteurs, industriels et distributeurs – aussi appelées interprofessions – doivent mettre au point un indicateur de coût de production qui fasse référence. Problème : ces indicateurs ont des fortunes diverses jusqu’à présent.
Par exemple, l’interprofession Interbev publie un indicateur pour les producteurs d’agneau, censé garantir que l’éleveur puisse se rémunérer à hauteur de deux Smic par mois : entre 9,61 et 11,49 euros le kg en 2022. Mais cette même interprofession ne communique pas d’indicateur pour la viande bovine.
Enfin, notons que le système de prix plancher concerne plusieurs pays à travers la planète, comme le soulignent plusieurs élus LFI, piqués par les critiques du ministre de l’Agriculture. Aux États-Unis, par exemple, un prix de référence existe pour le blé ou le maïs. Pas tout à fait le communisme triomphant.
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