Economia

Que sont les « lettres plafond » que Matignon veut envoyer, et pourquoi ça crispe

POLITIQUE – Il y a les lettres pour tendre la main, comme celles que se sont échangées les parlementaires après les Jeux Olympiques. Et puis il y a celles qui font tiquer : les lettres plafond, dont l’envoi « dans les prochains jours » a été annoncé jeudi 15 août par Matignon, font partie de cette catégorie.

Le projet de loi de finances 2025 doit être publié au Journal officiel au plus tard le 31 décembre 2024 pour éviter un scénario catastrophe – et inédit – pour les finances françaises. Avant sa publication, il doit être adopté par le Parlement par un vote ou par 49.3. Avant cela encore, il doit être transmis au Conseil d’État et au Haut Conseil des finances publiques.

Toutes ces étapes prennent du temps. En règle générale, les discussions pour préparer le texte commencent dès le début de l’année précédente, c’est-à-dire au printemps 2024 pour le budget 2025. Mais la dissolution de l’Assemblée nationale, les législatives anticipées et le statut « démissionnaire » du gouvernement de Gabriel Attal depuis le 16 juillet ont bouleversé le calendrier.

Les lettres plafond pas obligatoires mais cruciales

Le 31 juillet, le ministre démissionnaire de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire insistait sur l’importance des délais. « Il faut que ces lettres plafond, c’est-à-dire les crédits des ministères, soient envoyées avant le 15 août » par le Premier ministre, alertait-il sur France 2. Bien que démissionnaire, le ministre avait déjà fait savoir que les crédits pour 2025 seront « inférieurs » à ceux de 2024 « dans des proportions qui seront significatives » afin d’assurer le redressement des finances publiques, fortement dégradées.

Les lettres plafond déterminent les ressources dont dispose chaque ministère, c’est-à-dire les crédits par mission et le nombre maximum d’emplois. Elles sont établies après des conférences budgétaires, généralement entre avril et mai, « au cours desquelles les ministères exposent leurs demandes à la direction du Budget », peut-on lire sur le site du ministère de l’Économie et des Finances. Les demandes font ensuite l’objet de négociations avec Bercy avant d’être transmises aux services du Premier ministre qui arbitre « à la fin du mois de juin » en théorie.

Ces lettres ne relèvent d’aucune obligation constitutionnelle ou organique, elles sont simplement une pratique administrative, précise à l’AFP une source au sein de l’exécutif. Mais dans le contexte politique actuel, la simple évocation de leur envoi crispe.

Des lettres plus politiques que jamais

Le projet de loi finances est considéré comme l’un des textes les plus importants de chaque législature. Parce qu’il établit les budgets de chaque ministère, il est un bon indicateur des chantiers jugés prioritaires (dotés des plus gros budgets) et des autres et est donc hautement politique. Sa préparation par un gouvernement dont les jours sont comptés et qui sur le papier ne doit être chargé que des « affaires courantes » sans engager l’équipe qui lui succédera est donc mal perçue.

« C’est donc ça la gestion des affaires courantes par un gouvernement démissionnaire depuis un mois et demi ? » s’indigne ainsi Vincent Drezet, porte-parole d’Attac sur X. « M. Attal veut imposer le budget 2025. C’est l’abus de pouvoir permanent ! », s’indigne aussi le député LFI Matthias Tavel.

Dans son communiqué, Matignon assure que ces lettres plafond « constituent une première base budgétaire » mais « ne préempte pas les arbitrages finaux qui seront rendus par le prochain gouvernement » au moment de la présentation du texte en Conseil des ministres puis au Parlement. « Si nous n’avions rien fait, alors, dans les délais qui sont aujourd’hui les nôtres, la France ne pourrait pas se doter d’un budget. Un gouvernement chargé des affaires courantes doit assurer la continuité de l’État. On s’est mis en situation de présenter un projet de loi de finances au 1er octobre », défend Thomas Cazenave dans Sud Ouest.

Amender les lettres, ce n’est « ni fréquent, ni banal »

Fin juillet, en recevant le président (LFI) de la Commission des Finances Éric Coquerel, Bruno Le Maire avançait les mêmes justifications. « Ça vaut ce que ça vaut comme argument », évacue le député insoumis qui confirme qu’effectivement, les lettres plafond comme le tiré à part (le squelette du budget, explique-t-il) pourront être changées de fond en comble par un Premier ministre issu d’une nouvelle majorité. « Ceci dit, ce n’est pas un exercice fréquent, ni un exercice banal », souligne-t-il auprès du HuffPost. Raison pour laquelle l’exécutif pourrait selon lui attendre la nomination d’un nouveau gouvernement avant d’envoyer véritablement les lettres.

« Je critique moins le fait que des lettres plafond soient préparées pour partir – les ministres démissionnaires ont fait leur travail, en faisant en sorte qu’il y ait un budget à la fin de l’année – que le fait que Macron a placé tout le monde dans cette situation en ne respectant pas le suffrage universel et en n’appelant pas de gouvernement du Nouveau Front Populaire », résume le président de la Commission des finances.

Le chef de l’État va échanger le 23 août avec les chefs des groupes parlementaires et des partis. « La nomination d’un Premier ministre interviendra dans le prolongement de ces consultations et de leurs conclusions », promet la présidence de la République. D’ici là, les lettres plafond pourraient rester lettre morte.

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