Immobilier

D’où vient cette loi qui va permettre d’acheter de l’immobilier plus facilement?

IMMOBILIER – L’Assemblée nationale a voté jeudi 28 novembre la proposition de loi du député MoDem de Haute-Garonne Jean-Luc Lagleize. Objectif: permettre à un plus grand nombre de Français d’accéder à la propriété grâce à la différenciation entre le foncier et le bâti. L’accédant ne paiera que les murs sans acheter le terrain (il devra cependant verser une redevance mensuelle d’un faible montant), avec à la clef des prix 20% à 40% moins chers. 

Une principe qui inspire visiblement en ce moment, puisque Ian Brossat, adjoint à la mairie de Paris a annoncé dans Le JDD, la vente prochaine de 500 logements à moitié prix suivant ce même principe, via la création d’un organisme, La Foncière de la Ville.

Dans la loi Lagleize, cela passe notamment par des Offices Foncier Libres (OFL) qui seraient créés par les collectivités locales. Ils seraient alors en charge d’acquérir des terrains et de céder le bâti dans le cadre de baux réels libres (BRL). Ces derniers s’inspirent des baux réels solidaires, mais qui sont eux limités par un plafond de ressources et par certaines conditions dans le cadre d’une revente. Surtout, il s’agit d’une propriété “temporaire” puisque le bail est valable sur une durée de 18 à 99 ans. 

Une pratique millénaire

Cette pratique de différenciation entre le bâti et le foncier existe en réalité depuis très longtemps sous le nom d’emphytéose. Dans le droit, ce terme qui en grec veut dire “implantation”, “plantation”, a d’abord été consacré dans un cadre rural. Son apparition en 1953 dans le code rural et de la pêche maritime ne fait que sanctionner un usage qui date du droit romain.

Dans les années 50, compte tenu de l’importance de l’agriculture, on reconnaissait une certaine valeur à la terre. Les baux emphytéotiques étaient alors établis sur une durée de 18 à 99 ans, cela permettait d’exploiter les terres sur plusieurs générations, une donnée importante dans un contexte d’assolement triennal [ndlr: alternance de culture sur trois terrains]”, détaille Olivier de Maison Rouge, avocat, contacté par Le Huffpost, avant d’ajouter: “On peut dans l’esprit faire un parallèle avec le Cens, une redevance que payait un vassal à son seigneur pour exploiter sa terre. Comme aujourd’hui pour un logiciel, on est dans l’exploitation d’une licence”.

Dans certains pays, à l’instar du Royaume-Uni, l’emphytéose s’est imposée depuis longtemps en matière d’habitation. Cette différence outre-Manche s’explique notamment par l’héritage du système féodal: la majorité des terres sont possédées par la Couronne et les lords. “Aujourd’hui, ce sont encore principalement les grands propriétaires fonciers qui prévalent, le système en place est toujours en partie monarchique même si politiquement c’est symbolique. Résultat, les transferts de foncier ne sont pas encouragés et les contrats de “louage” préférés”. Au Royaume-Uni, c’est donc tout naturellement que s’est imposé le “leasehold”, un bail emphytéotique appliqué aux biens d’habitation et d’une durée de 99 ans. En Angleterre en 2019, près de 43% des appartements sont détenus en bail emphytéotique. En 2018, 24% des transactions immobilières avaient été réalisées sous ce régime. 

Un blocage en France

En France, si le système hérité de la féodalité n’a pas perduré c’est dans un premier temps suite à la Révolution de 1789, qui consacre dans ses articles les libertés individuelles, dont la propriété. “C’est inscrit dans la culture française depuis la Révolution française que la propriété est une et indivisible. Pourtant, il y a le viager et la nue-propriété. Certains fantasmes perdurent mais je crois qu’aujourd’hui face aux tensions qui traversent le marché immobilier, il faut aller au-delà”, explique Jean-Luc Lagleize, également joint par Le HuffPost.

Outre la Révolution française, c’est le Code civil promulgué en 1804 par Napoléon, qui favorise la propriété pleine et entière. “Napoléon renforce la reconnaissance de la propriété foncière, et l’emphytéose y devient alors plutôt une exception. Concrètement, le Code civil a permis d’unifier un ensemble de droits provinciaux de l’Ancien régime, des droits territoriaux, qui empêchaient uniformément l’accès à la propriété”, détaille Olivier de Maison Rouge. L’Angleterre n’a pas opéré un tel virage, bien au contraire. En 1925  l’acte de ’The Law of Property” consacre le leasehold des habitations. 

Si le BRL de Jean-Luc Lagleize s’inscrit dans l’histoire des baux emphytéotiques, la comparaison reste limitée. “Contrairement à ce qui se fait en Angleterre, le bail est rechargeable de manière illimitée à la seule condition de continuer à payer le loyer. C’est en ce sens une propriété définitive. Enfin contrairement au BRS qui implique de transmettre son bien à des personnes remplissant les mêmes conditions de ressources, ce n’est pas le cas avec le BRL qui sera par ailleurs à rechargement illimité”, détaille le député.  

Pour éviter la spéculation sur le foncier comme c’est le cas à Londres, Jean-Luc Lagleize a inscrit dans la loi que les capitaux des OFL soient à majorité publique.

En France, la précédente majorité avait intégré par décret le bail réel immobilier longue durée (BRILO) en 2014. Là encore il est uniquement question de posséder les murs avec un bail de 18 à 99 ans et moyennant une redevance. Mais différence notable avec la proposition de Jean-Luc Lagleize qui sera examiné au Sénat début 2020, il n’était pas question de rechargement illimité ni de la création d’OFL.

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