Politique

Abroger, suspendre, décaler… Ces options pour revenir sur la réforme des retraites

POLITIQUE – Le sujet est bien « sur la table » mais à quelle sauce sera-t-il mangé ? Deux ans après son adoption par 49.3, la réforme des retraites est redevenue un casus belli au centre du jeu politique. À l’époque démissionnaire, Sébastien Lecornu avait lui-même plaidé auprès d’Emmanuel Macron pour qu’un « débat » ait lieu sur le sujet. Désormais reconduit, ce sera à lui de mener le chantier, après que le chef de l’État l’a évoqué lors de la réunion avec les chefs de parti le 10 octobre comme l’un de ceux pouvant « permettre des déblocages ».

Emmanuel Macron a évoqué « la proposition de la CFDT d’un décalage de l’âge légal à 2027 », a fait savoir son entourage à la presse à l’issue de la réunion à l’Élysée. Cette proposition, apparue après l’échec du conclave, avait été évoquée par Marylise Léon sur le plateau de BFM Business le 9 octobre. À « 62 ans et 9 mois, on arrête le compteur du décalage progressif de l’âge légal. Ça va concerner plusieurs centaines de milliers de personnes », propose-t-elle.

La syndicaliste est farouchement opposée à « un système de retraites construit autour d’un âge légal », l’un des deux piliers de la réforme dite Borne. En revanche, elle ne souhaite pas revenir sur le deuxième paramètre, à savoir l’augmentation de la durée de cotisation. La réforme votée en 2023 prévoit de porter à 43 le nombre d’annuités nécessaires pour toucher une pension de retraite complète en 2027. « Nous y étions favorables en 2010 (lors de la réforme de Marisol Touraine qui a établi le principe, ndlr), que ce soit accéléré aujourd’hui, ça nous va bien », confirme Marylise Léon.

Le décalage ne suffit pas à la gauche

Retarder la mesure d’âge – la plus crispante pour l’opinion – sans pour autant enterrer la réforme, voilà qui apparaît comme un compromis digne d’être discuté au sommet. Selon son entourage, le chef de l’État n’a « pas endossé » la proposition de la CFDT. Mais l’évoquer permet d’adresser un signal aux élus Renaissance, qui se sont publiquement déchirés sur le sujet. Le MoDem s’est lui dit prêt à « rediscuter ». En revanche, cette piste pourrait tourner court chez les proches d’Édouard Philippe, qui refusent de « toucher au cœur de la réforme des retraites, c’est-à-dire à l’âge » de départ au nom de « l’équilibre financier » du régime et du déficit public. Le dossier a été érigé comme l’une des deux « priorités » pour convenir ou pas d’un « soutien sans participation » au gouvernement, précise l’entourage de l’ex-Premier ministre.

La proposition de la CFDT est tout aussi insuffisante à gauche. À la sortie de l’Élysée vendredi, Marine Tondelier a indiqué qu’Emmanuel Macron n’avait évoqué la réforme « non pas pour avancer sur une abrogation, non pas même pour aborder une suspension, mais finalement pour nous dire que peut-être on pourrait décaler dans le temps (…) seulement la mesure sur l’âge et non pas celle sur le nombre de trimestres. » « Vous comprenez bien que ça ne peut convaincre personne à gauche », a-t-elle indiqué.

Même son de cloche pour Olivier Faure qui rappelle que ce « décalage » n’est « pas notre demande ». « Nous avons demandé la suspension de la réforme des retraites, à la fois de l’âge légal et du nombre de trimestres cotisés », répète-t-il. Les discussions autour d’une suspension et rien de moins font partie des conditions posées par le PS pour un éventuel accord de non-censure. Entre autres : « Nous attendrons le discours de politique générale (…) Si tous les sujets ne sont pas sur la table (dont la) suspension de la réforme des retraites, alors nous censurerons immédiatement », a mis en garde le patron des socialistes.

Seul le gouvernement peut décider de suspendre

Une éventuelle suspension ne peut être déposée que par le gouvernement, en vertu de l’article 40 de la Constitution qui interdit aux parlementaires de déposer des propositions de loi ou amendement qui « auraient pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». Mais ni Emmanuel Macron ni Sébastien Lecornu n’ont évoqué cette option avec les chefs de partis.

Tout juste, l’entourage du Premier ministre démissionnaire avait confirmé le 7 octobre avoir demandé à Bercy une évaluation du coût de l’ensemble du projet de budget alternatif du Parti socialiste, où figure une suspension de la réforme des retraites. Au 20h de France 2, Sébastien Lecornu avait évoqué un coût d’au moins « trois milliards », variable selon « en fonction du périmètre de ce qui peut être suspendu en 2027 ».

Encore extrêmement hypothétique à ce stade, une suspension de la réforme ne serait pas non plus suffisante pour convaincre une autre partie la gauche, en l’occurrente la France Insoumise. Le mouvement mélenchoniste réclame son abrogation pure et simple, sans compromis. Ce qui reviendrait pour Emmanuel Macron à revenir sur son « héritage ». Autant dire que les chances sont nulles.