Politique

Alfred Dreyfus élevé au grade de « général de brigade » dans une unanimité rare à l’Assemblée

POLITIQUE – Rien n’est jamais trop tard. 130 ans après sa condamnation et sa dégradation dans la cour d’honneur de l’École militaire de Paris, Alfred Dreyfus a été élevé au rang de général de brigade par l’Assemblée nationale. Sur proposition de l’ancien Premier ministre Gabriel Attal, cet acte constitue un « acte de réparation » et parachève la réhabilitation de ce militaire français, victime d’une cabale judiciaire à la fin du XIXe siècle en raison de sa judéité.

« Par notre vote, la République va réparer une erreur, celle que l’officier Dreyfus dut subir en 1906 », a affirmé le député Renaissance Charles Sitzenstuhl lors de son introduction. Malgré la reconnaissance de son innocence par la Cour de cassation, Alfred Dreyfus n’a en effet jamais été réintégré « au grade qui lui revenait de droit », a-t-il poursuivi. C’est désormais chose faite. Le texte devrait désormais poursuivre son parcours au Sénat.

Cet officier né à Mulhouse avait bien tenté de demander à voir sa carrière revalorisée, mais sans jamais obtenir gain de cause. Il avait finalement pris la décision de quitter l’armée l’année suivante, en 1907, avant de la réintégrer pendant la Première Guerre mondiale. La question de sa réhabilitation pleine et entière « a été longtemps occultée et ignorée, en dehors de sa famille et des spécialistes de l’affaire », observe Charles Sitzenstuhl.

Une première étape avait été franchie en 2006, puisque lors d’un hommage de la Nation en son honneur, le président de l’époque Jacques Chirac avait reconnu que « justice (ne lui) a pas complètement été rendue », et qu’il n’a pu « bénéficie(r) de la reconstitution de carrière à laquelle il avait pourtant droit ». Des paroles reprises bien plus tard par Emmanuel Macron qui, en 2021, avait estimé qu’il revient « sans doute à l’institution militaire, dans un dialogue avec les représentants du peuple français » de nommer Dreyfus général à titre posthume.

Une extrême droite désormais dreyfusarde ?

À l’Assemblée nationale, les débats ont été de très bonne tenue. L’ensemble des groupes a défendu la mesure, y compris le Rassemblement national, qui a pourtant une histoire compliquée avec l’antisémitisme puisque le FN a été fondé en partie par d’anciens SS ou nostalgiques du régime de Vichy. « Si cette proposition de loi doit être soutenue, c’est pour rappeler à l’opinion et surtout à notre jeunesse que l’antisémitisme est comme une hydre qui peut sans cesse renaître sous des traits nouveaux, mais tout autant dangereux », a plaidé le député RN Thierry Tesson. Cette prise de position s’inscrit dans la volonté du RN d’apparaître comme un bouclier des Juifs de France face à l’islamisme. D’où le récent voyage de Jordan Bardella en Israël ou la défense jusqu’au-boutiste de Marine Le Pen du gouvernement israélien.

Ce qui a été vivement critiqué par le député de La France insoumise Gabriel Amard. « Dans ma famille, on descend des dreyfusards, pas dans la vôtre », a-t-il asséné à l’encontre de son collègue d’extrême droite. Il a aussi fustigé ceux qui « lèvent aujourd’hui la main, comme s’ils avaient été dreyfusards », alors qu’ils « ricanent à l’ombre des croix gammées », appelant aussi à ne pas se servir « de l’antisémitisme comme d’un javelot ». Seul le MoDem s’est distingué en refusant d’apporter son soutien au texte, arguant qu’il « permet à certains d’acheter à peu de frais, et sur la mémoire d’Alfred Dreyfus, un brevet d’honorabilité ».

« Un combat toujours d’actualité »

Le député Place Publique Aurélien Rousseau a estimé pour sa part que « c’est au Panthéon que le général Dreyfus et sa femme devraient être accueillis ». Un chemin que ne semble pas prendre l’Élysée puisque l’entourage du chef de l’État explique à l’AFP que la priorité est « à ce stade, de faire vivre les valeurs du Dreyfusisme, combat toujours d’actualité pour la vérité et la justice, contre l’antisémitisme et l’arbitraire ».

Le geste accompli par les députés français est « d’autant plus significatif » qu’il intervient dans un moment « où les actes de haine antisémites connaissent une inquiétante progression », a enchaîné la ministre déléguée à la Mémoire et aux Anciens combattants, Patricia Mirallès. Ces derniers jours ont ainsi été marqués par plusieurs attaques de lieux liés à la communauté juive, dont le mémorial de la Shoah à Paris. Les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, ont d’ailleurs annoncé s’y rendre le 2 juin dans la soirée.